Muhammad (saws) ordonne de tuer les Banu Qurayza ? Etude historique critique (partie I)

Au Nom de Dieu, Clément et Miséricordieux

« …Et que la paix soit sur quiconque suit le droit chemin ! »

Saint-Coran, Sourate 20 Verset 47

Avant de commencer je prononcerai l’invocation de Moise(que la paix de Dieu soit sur lui) :

«Seigneur, ouvre-moi ma poitrine, et facilite ma mission, et dénoue un nœud en ma langue, afin qu'ils comprennent mes paroles»

Saint-Coran, Sourate 20 Versets 25 à 28

Le prophète Muhammad (saws) a-t-il ordonné que 900 Juifs soient tués ?

Du : « Journal de la Société Royale Asiatique de Grande Bretagne et d’Irlande » [1976], p. 100-107

Il est bien connu qu’à l’avènement de l’Islam, il y avait 3 tribus juives vivants à Yathrib (Médine), ainsi que d’autres villages Juifs plus au nord, les plus importants étaient ceux de Khaybar et Fadak. Il est aussi généralement admis que le prophète Muhammad (paix et bénédiction sur lui) espérait que les Juifs de Yathrib, en tant que pratiquants d’une religion divine, montreraient de la compréhension envers la nouvelle religion monothéiste, Islam.

Cependant, aussitôt que ces tribus réalisèrent que l’Islam était fermement établie et gagnait en force, ils adoptèrent une attitude extrêmement hostile, et le résultat final de cette lutte fut la disparition de ces communautés juives de l’Arabie.

Les biographes du Prophète, suivis par des historiens ultérieurs, nous apprennent que les Banu Qaynuqa [1] et plus tard les Banu al-Nadir [2] provoquèrent les Musulmans, furent assiégés, puis se rendirent et furent autorisés à prendre tous les biens qu’ils pouvaient transporter. Plus tard, Khaybar [3] et Fadak [4] furent évacués.

Selon Ibn Ishaq dans la Sira [5], le tiers des Banu Qurayda s’allia aux Qurayshites et leurs alliés, qui avaient attaqués Médine dans l’espoir de détruire l’Islam mais sans succès.

La menace la plus sérieuse pour l’Islam échoua et les Banu Qurayda furent assiégés par le Prophète. Comme les Banu al-Nadir, ils se rendirent, mais contrairement aux Banu al-Nadir, ils furent soumis à l’arbitrage de Sa’d b. Mu’adh, un membre de la tribu Aws, alliée des Qurayda.

Il jugea que les hommes soient mis à mort, et que les femmes et enfants réduits en esclavage. Ainsi, des tranchées furent creusées à la place du marché de Médine, et les hommes de Qurayda y furent emmenés en groupes et furent décapités [6]. Les estimations du nombre d’exécutés varient de 400 à 900.

Après examen, les détails de ce récit peuvent être remis en cause. Il peut être démontré que l’assertion selon laquelle 600 ou 800 ou 900 [7] hommes des Banu Qurayda furent tués de sang-froid ne peut être vrai, que c’est une invention ultérieure qui tire ses sources dans les traditions juives.

En effet, la source des détails dans les anciens récits de l’histoire juive, peut être désignée avec une surprenante exactitude.

Les sources arabes vont être maintenant étudiées, et la contribution des informateurs Juifs discutée. La crédibilité des détails sera évaluée, et le prototype des anciens récits Juifs mis en évidence.

Le travail le plus ancien que nous ayons, avec un grand éventail de détails est la Sira de Ibn Ishaq, sa biographie du Prophète. C’est aussi la plus longue et la plus citée. Les historiens ultérieurs l’ont repris, et dans la majorité des cas se fient à lui. [8]

Mais Ibn Ishaq est mort en 151 après la Hijra (773), soit 145 ans après l’évènement en question. Les historiens ultérieurs prennent simplement sa version de l’histoire, en omettant plus ou moins certains détails, et passant outre sa liste incertaine de narrateurs.

Généralement ils abrègent l’histoire, qui ne semble être qu’un évènement de plus à rapporter. Dans la plupart des cas, leur intérêt s’arrête là. Certains indiquent qu’ils ne sont pas réellement convaincus, mais ne sont pas préparés à risquer des ennuis. Une autorité (du hadith), Ibn Hajar, néanmoins, dénonça cette histoire et les autres en relation en tant que « récits étranges » [9]

Un contemporain d’Ibn Ishaq, Malik [10] le juriste, dénonça Ibn Ishaq comme étant un « menteur » [11] et un « imposteur » [12] pour avoir transmis ce genre d’histoires.

Il faut rappeler que les historiens et auteurs de la biographie du Prophète n’ont pas appliqué les règles strictes des « traditionalistes». Ils ne donnaient pas toujours la chaîne des rapporteurs, chacun devant être validé comme digne de confiance, et certifié comme ayant transmis son rapport directement de son informateur, et ainsi de suite.

L’attitude envers les détails biographiques et envers les premiers évènements de l’Islam était beaucoup moins méticuleuse que l’attitude envers les Traditions du Prophète, ou sur tout matériel relevant de la jurisprudence.

En effet, le compte-rendu d’Ibn Ishaq du siège de Médina et la chute des Banu Qurayda, a été rassemblé à partir de divers témoignes de personnes qu’il nomme, incluant des Musulmans descendants des Juifs de Qurayda. Face à ces récits tardifs et de sources incertaines, doit être placé la seule source contemporaine et authentique, le Qur’an. Là, la référence dans la Sourate 33 verset 26 est très brève :

« Il fit descendre de leurs forts ceux des Gens du Livre qui les aidèrent [les Qurayshites]. Vous tuâtes certains, et vous emprisonnâtes certains »

Il n’y a aucune référence de leur nombre.

Ibn Ishaq identifie ses sources directes lorsqu’il commence le chapitre du siège de Médina. Ils étaient : un client de la famille de al-Zubayr, et d’autres qu’il « ne suspectait pas ». Ils racontèrent des partis de l’histoire sous l’autorité de Abdullah b. Ka'b b. Malik, al Zuhri, 'Asim b. 'Umar b. Qatada, 'Abdullab b. Abi Bakr, Muhammad b. Ka'b de Qurayza, et « d’autres parmi les hommes de savoir ».

Chacun contribua à l’histoire, ainsi la version de Ibn Ishaq est l’assemblage de tous les rapports collectés. Plus loin, Ibn Ishaq cite un autre descendant de Qurayda, Atiyya [13] qui fut épargné, puis un certain descendant de al-Zabir b. Bata, un membre influent de Qurayda qui figure dans la narration.

Le récit commence par une description des efforts des leaders des Juifs pour organiser une alliance avec les forces ennemis contre les Musulmans. Parmi les leaders nommés, trois des Banu al-Nadir et deux des Wa’il (une autre tribu juive) ; avec d’autres membres dont le nom n’est pas donné.

Ayant persuadé les voisins Bédouins de Ghatafan, Murra, Fazara, Sulaym et Ashja, de prendre les armes, ils se dirigent vers Mecca où ils arrivent à persuader les Quraysh. Ayant rassemblé une force d’assaut, un des leaders de Nadir, Huyayy b. Akhtab, réussi à convaincre la troisième tribu de Médina, les Banu Qurayda, et contre l’avis de leur leader, Ka’b b. Asad, de trahir le Prophète, dans l’espoir, présenté comme une certitude, que les Musulmans ne tiendraient pas face à des forces combinées, et que les Qurayda et les autres Juifs restaureraient leur suprématie et leur indépendance.

Le siège de Médina échoua, et les tribus juives souffrirent des conséquences de leur participation dans l’opération. L’attitude des érudits et historiens à propos de la version de Ibn Ishaq était soit celle de suffisance, des fois empreinte de doute, et dans au moins deux cas importants, de condamnation et de rejet catégorique.

L’attitude complaisante était celle d’accepter la biographie du Prophète et des récits des campagnes, sans l’attention méticuleuse ou l’utilisation de critères drastiques dont firent preuve les rapporteurs des traditions ou que les juristes les utilisèrent.

Il n’était pas nécessaire de vérifier la véracité des rapporteurs lors de la transmission de récits de la vie du Prophète. [14] Il n’était pas essentiel de fournir une chaîne continue de rapporteurs ni même de citer les rapporteurs. C’est évident dans la Sira de Ibn Ishaq.

D’un autre coté, un rapporteur fiable et une chaîne de transmission continue étaient nécessaires en ce qui concernait les lois. C’est pour cela que le juriste Malik ne portait aucune considération à Ibn Ishaq. [15]

On peut se rendre compte que les historiens ultérieurs et même les exégètes répètent mot pour mot le récit de Ibn Ishaq, ou abrègent toute l’histoire. Les historiens l’ont repris avec froideur. Même Tabari, 150 ans après Ibn Ishaq, ne cherche même pas à trouver d’autres versions de l’histoire, alors qu’il le faisait d’habitude.

Il sème le doute par l’utilisation de ces mots « Waqidi assura [ za’ama ] que le Prophète ordonna que des tranchées soient creusées ». Ibn al-Qayyim dans zad al-ma’ad y fait brièvement référence et ignore la question cruciale du nombre.

Même Ibn al-Kathir semble avoir des doutes car il va jusqu’à déclarer que le récit est transmis par « un bon rapporteur » comme celui de A’isha. [16]

À part la complaisance ou l’acceptation douteuse de l’histoire en elle-même, Ibn Ishaq en tant qu’auteur, fut la cible d’attaques dévastatrices de la part d’érudits, contemporains ou ultérieurs, sur deux points particuliers.

L’un d’eux était le fait d’inclure dans la Sira des poèmes faux ou inventés [17], et l’autre était le fait d’accepter sans aucune critique des histoires telles que le massacre de Banu Qurayda.

Son contemporain, l’un des premiers traditionalistes et juriste Malik, le traita sans équivoque de « menteur » et « d’imposteur » [18], « qui transmet ses histoires des Juifs ». [19]

En d’autres termes, appliquant ses propres critères, Malik contesta la véracité des sources de Ibn Ishaq et rejeta son approche. En effet, ni la liste des informateurs de Ibn Ishaq ni ses méthodes de collecte et d’assemblage d’une telle histoire n’est acceptable pour le juriste Malik.

Plus tard, Ibn Hajar expliqua le pourquoi de la condamnation de Ibn Ishaq par Malik. Malik, disait-il, [20] condamne Ibn Ishaq car il alla chercher des descendants des Juifs de Médina pour obtenir les récits des campagnes du Prophète, qu’ils tenaient eux-mêmes de leurs prédécesseurs.

Ibn Hajar [21] rejeta ensuite les récits en question avec ces termes virulents : « ces récits étranges comme l’histoire des Qurayda et al-Nadir ». Rien ne pouvait être plus négatif que ce rejet complet.

Face aux sources tardives et incertaines d’un coté, et la condamnation par les autorités (des hadiths) de l’autre, on doit utiliser la seule source contemporaine authentique, le Qur’an.

Là, la référence dans la Sourate 33 verset 26 est très brève :

« Il fit descendre de leurs forts ceux des Gens du Livre qui les aidèrent [les Qurayshites]. Vous tuâtes certains, et vous emprisonnâtes certains »

Les exégètes et traditionalistes ne font que répéter l’histoire d’Ibn Ishaq, mais dans le Qur’an, la référence ne peut être que pour ceux qui ont pris part au combat. C’est la description d’une bataille. Cela concerne ceux qui ont combattu.

Certains furent tués, d’autres furent fait prisonniers. On peut penser que s’il y avait eu 600 ou 900 personnes tuées de cette manière, la signification de l’évènement aurait pu être plus grande. Il y aurait eu une référence claire dans le Qur’an, une conclusion à en tirer, et une leçon à retenir. Mais lorsque seul les leaders coupables sont exécutés, il est normal de s’attendre à une référence brève.

En ce qui concerne les sources, elles n’étaient ni désintéressées ni fiable, et le récit était très tardif.

Maintenant, en ce qui concerne l’histoire, les raisons de la rejeter sont les suivantes :

1: Comme démontré ci-dessus, la référence dans le Qur’an est extrêmement brève, et il n’y a aucune indication de l’exécution d’un grand nombre (de personnes). Dans le contexte d’une bataille, la référence est pour ceux qui se battaient. Le Qur’an est la seule autorité que l’historien acceptera sans hésitation ni doute. C’est un texte contemporain, et pour des raisons logiques, ce que nous avons est la version authentique.

2: La règle en Islam est de punir seulement ceux qui sont responsables de la sédition.

3: Tuer un aussi grand nombre (de personnes) est diamétralement opposé au sens Islamique de justice, et aux principes de base établit par le Qur’an, notamment le verset « Aucune âme ne portera le fardeau d’une autre » [22]. Il est évident dans le récit que les leaders étaient connus et dénombrés. Ils étaient nommés.

4: C’est aussi contre la règle coranique concernant les prisonniers de guerre, qui doivent soit être rançonnés soit être libérés. [23]

5: Il est peu probable que les Banu Qurayda soient massacrés alors que les autres tribus juives qui se rendirent avant les Banu Qurayda et après eux aient été traitées avec compassion et autorisées à partir. En effet, Abu Ubayd b. Sallam relate dans son livre Kitab al-Amwal [24] que lorsque Khaybar tomba aux mains des Musulmans, il y avait là une famille qui s’était particulièrement distinguée par ses insultes envers le Prophète. Pourtant, à ce moment le Prophète s’adressa à eux sur un ton de réprimande : « Fils d'Abu al-Huqayq, j’ai sus l’étendue de votre hostilité envers Dieu et Son Apôtre, mais cela ne m’empêche pas de vous traiter comme j’ai traité vos frères. » C’était après la reddition des Banu Qurayda.

6: Si réellement autant de centaines de personnes avaient été mises à mort sur la place du marché, et des tranchées creusées pour l’opération, il est très étrange qu’il n’y ait aucune trace nulle part, pas de signes ni d’indication de la place, et aucune marque de référence visible. [25]

7: Si le massacre avait réellement eu lieu, les juristes l’auraient adopté comme précédent. En fait, c’est exactement le contraire qui s’est passé. L’attitude des juristes, et leurs dirigeants, était plutôt en accord avec le verset coranique « Aucune âme ne portera le fardeau d’une autre ».

En effet, Abu Ubayd. B. Sallam relate un incident très significatif dans son livre Kitab al-Amwal [26], qui est, il faut le préciser, un livre de jurisprudence et non pas une Sira ou une biographie. Il nous dit qu’au temps de l’Imam al-Awza’i [27], il y eut un cas d’un trouble parmi un groupe des Gens du Livre au Liban, quand Abdullah b. Ali était gouverneur régional. Il mit fin à la sédition et ordonna l’expulsion de la communauté. Al-Awza’i en tant que plus important juriste fit immédiatement objection. Son argument fut que l’incident n’était pas le résultat d’un accord unanime de la communauté. « Autant que je le sache, ce n’est pas une loi de Dieu que Dieu punisse la majorité pour les fautes de la minorité mais plutôt punisse la minorité pour les fautes de la majorité. » Maintenant, si l’Imam al-Awza’i avait accepté le massacre des Banu Qurayda, il l’aurait traité comme précédent, et n’aurait pas argumenté contre l’autorité en place, à savoir Abdullah b. Ali.

Al-Awza’i, il faut le rappeler, était un jeune contemporain de Ibn Ishaq.

8: Dans le récit des Qurayda, des personnes sont nommément désignées en tant qu’exécutés, certains étaient décrits comme étant particulièrement actifs dans leur hostilité. Il est raisonnable d’en conclure que ceux-ci étaient les responsables de la sédition et ont donc été punis - pas toute la tribu.

9: Les détails donnés dans le récit impliquent nécessairement une connaissance interne, donc parmi les Juifs eux-mêmes. Comme les détails de leur discussion quand ils étaient assiégés, le sermon de Ka’b b. Asad en tant que leader, et la suggestion de tuer les femmes et les enfants pour ensuite faire une dernière attaque désespérée contre les Musulmans.

10: Comme les descendants des Qurayda auraient voulu glorifier leurs ancêtres, les descendants des Médinois en rapport avec l’évènement firent de même. On peut noter que la partie de l’histoire concernant le jugement de Sa’d b. Mu’adh contre les Qurayda, fut transmis par un de ses descendants directs. Selon cette partie du récit, le Prophète aurait dit à Mu’adh : « Tu as prononcé sur eux le Jugement de Dieu [comme inspiré] entre Sept Voiles. » [28] Il est bien connu que pour glorifier leurs ancêtres ou blanchir ceux qui étaient au début inamicaux envers l’Islam, beaucoup d’histoires furent inventés par les générations ultérieures et beaucoup de versets (poétiques) furent inventés, la plupart étant transmis par Ibn Ishaq. Le récit et la déclaration concernant Sa’d font partis de ce genre de détails.

11: D’autres détails sont durs à accepter. Comment autant de personnes ont pu être emprisonnées dans la maison d’une femme de Banu al-Najjar ? [29]

12: L’histoire des tribus juives après l’établissement de l’Islam n’est pas du tout claire. L’idée que tous Juifs s’exilèrent semble avoir besoin d’être révisée, comme le on peut le constater lors de l’examen des sources. Par exemple, dans Jamharat al-Ansab, [30] Ibn Hazm fait référence occasionnellement à des Juifs vivant encore à Médina. A deux endroits, al-Waqidi, [31] mentionne des Juifs qui vivaient encore à Médina lorsque le Prophète préparait la marche contre Khaybar - après la supposée liquidation des trois tribus, incluant celle de Qurayda -. Dans un cas 10 Juifs Médinois se joignirent au Prophète dans l’expédition contre Khaybar, et dans un autre des Juifs en paix avec lui à Médina étaient très inquiets de l’attaque contre Khaybar. Al-Waquidi explique que ces Juifs essayaient d’empêcher le départ des Musulmans qui leurs devaient de l’argent.

En effet, Ibn Kathir [32] prend la peine d’indiquer que Umar ne renvoya de Khaybar que les Juifs qui n’avaient pas fait la paix avec le Prophète. Ibn Kathir explique ensuite que bien plus tard, après 300 après la Hijra, les Juifs de Khaybar clamèrent qu’ils avaient en leur possession un document, supposément donné par le Prophète, qui les exemptait de taxes. Il dit que certains érudits prirent en compte ce document et décidèrent que les Juifs de Khaybar seraient exemptés de taxes. Néanmoins ce document était un faux, et fut réfuté en détails. Il citait des gens déjà morts, utilisait un jargon technique utilisé bien plus tard, et déclarait que Mu’awiya b. Abi Sufyan en fut témoin, alors qu’il n’était même pas converti à l’Islam en ce temps, et ainsi de suite.

Ainsi, la source de ce récit inacceptable du massacre venait des descendants des Juifs de Médina, desquels Ibn Ishaq prit ces « récits étranges ». Pour avoir fait cela, Ibn Ishaq fut sévèrement critiqué par d’autres érudits et historiens, et fut traité d’imposteur par Malik.

Les sources de ce récit sont alors extrêmement douteuses et les détails diamétralement opposées à l’esprit de l’Islam et les règles du Qur’an pour que le récit soit crédible. Des narrateurs crédibles manquent, et les preuves circonstancielles ne le valident pas. Ce qui veut dire que le récit est plus que douteux.

Néanmoins, le récit, à mon avis, tire ses origines de récits antérieurs. Il peut être démontré qu’il reproduit des récits similaires issus des témoignages des Juifs survivants de la rébellion contre les Romains, qui se termina par la destruction du Temple en l’an 73, la nuit où les assiégés Juifs Zélotes et Sicaires de la forteresse de Massada furent liquidés.

Le récit de leur expérience se transmit naturellement par les Juifs survivants qui avaient fuit au sud. En effet, une des théories les plus plausibles sur l’origine des Juifs de Médina, est qu’ils venaient après les guerres juives. C’était la théorie préférée par le Professeur Guillaume. [33]

Il est bien connu que la source des détails des guerres juives est Flavius Josephus, lui-même Juif et témoin contemporain qui était en fonction sous les Romains, qui désapprouvait certaines actions commises par les rebelles, mais qui ne cessa jamais d’être Juif de cœur. C’est dans ses écrits que nous lisons des détails similaires à ceux transmis dans la Sira à propos des actions et de la résistance des Juifs, excepté que maintenant nous voyons la responsabilité des actions placées sur les Musulmans. En considérant les détails de l’histoire des Banu Qurayda comme transmis par les descendants de la tribu, on peut noter des détails similaires au récit de Josephus :

1: Selon Josephus, [34] Alexandre, qui régna sur Jérusalem avant Hérode le Grand, fit crucifier 800 captifs Juifs, et massacra leurs femmes et enfants devant leurs yeux.

2: De la même manière, un grand nombre fut tué par d’autres

3: Les détails importants des deux récits sont remarquablement similaires, particulièrement le nombre de tués. A Massada, le nombre de ceux qui sont morts était de 960. [35] L’estimation des impétueux Sicarii qui furent tués était de 600. [36] Nous lisons aussi que quand ils commencèrent à désespérer, leur leader Eleazar s’adressa à eux (comme Ka’b b. Asad s’adressa aux Qurayda) [37] et suggéra de tuer les femmes et les enfants. Et lorsque le désespoir total fut atteint, s’entretuer jusqu’au dernier fut proposé. La similarité des détails est absolument remarquable. Pas seulement la suggestion du suicide de masse mais aussi le nombre de tués sont les mêmes. Même les noms sont les mêmes dans les deux récits. Il y a Phineas, et Azar b. Azar, [38] tout comme Eleazar qui s’adressa aux Juifs assiégés de Massada.

Il y a en effet plus qu’une similarité fortuite. Ici nous avons le prototype – en effet, je suggèrerait plutôt l’origine du récit des Banu Qurayda, préservée par les descendants des Juifs qui avaient fuis vers le sud de l’Arabie après les guerres juives, comme Josephus avait consigné la même histoire pour le monde classique. Une génération postérieure aura superposé les détails du siège de Massada sur celui de Qurayda, peut-être en confondant les traditions de leur lointain passé avec celles d’un passé plus récent. Ce mélange donna le récit de Ibn Ishaq. Quand les historiens Musulmans l’ignorèrent ou la transmirent sans commentaire ou par manque d’intérêt, ils ne firent qu’exprimer leur manque d’enthousiasme face à cet étrange récit, comme l’avait appelé Ibn Hajar.

Un dernier point. Depuis que ce qui précède a été écrit, j’ai vu des comptes-rendus [39] d’un article en août 1973 au Congrès Mondial des Etudes Juives écrit par le Docteur Trude Weiss-Rosmarin, dans lequelle elle remet en cause l’assertion de Josephus selon laquelle les 960 Juifs assiégés de Massada se suicidèrent. C’est extrêmement intéressant car dans le récit des Banu Qurayda, les 960 et quelques Juifs refusèrent de se suicider. Qui sait, peut-être que l’histoire des Banu Qurayda est une version plus précise de la version originale.

_____________________________________________

Notes et références :

[1] Ibn Ishaq, Sira [ed. Wustenfeld, Gottingen, 1860] , 545-7; [ed. Saqqa et al., Caire, 1955] , II, 47-9. Voir aussi al-Waqidi, Kitab al-Maghazi [ed. M. Jones, Londre, 1966] , II, 440 ff.; Suhayl, al-Rawd al-Unuf [Caire, 1914] , I, 187 et passim; Ibn Kathir, al-Sira al-Nabawiya [ed. Mustafa `Abd al-Wahid, Caire, 1384-5 / 1964-6] , II, 5, et passim.

[2] Sira, 545-56, 652-61 / II, 51-7, 190-202; Ibn Kathir, oop. cit., III, 145 ff.

[3] Sira, 755-76, 779 / II, 328-53, 356, etc. Plus de détails sur Khaybar en bas

[4] ibid., 776 / II, 353-4.

[5] ibid., 668-84 / II, 214-33.

[6] ibid., 684-700 / II, 233-54.

[7] ibid., 689 / II, 240; `Uyun al-athar [Caire, 1356 A.H.] , II, 73; Ibn Kathir, II, 239.

[8] Dans son introduction à Uyun al-Atar, Ibn Sayyid al-Nas [mort en 734 A.H.], ayant expliqué son plan pour une biographie du Prophète, dit expressément que sa source principale est Ibn Ishaq, qui était en effet la source principale de tous le monde.

[9] Tahdhib al-Tahdhib, IX 45. Voir aussi Uyun al-Aytar, I, 17, où l’auteur utilize les même termes, sans donner de référence, dans son introduction sur la véracité d’Ibn ishaq et les critères appliqués.

[10] d. 179.

[11] Uyun al-athar, I, 12.

[12] ibid, I, 16.

[13] Sira, 691-2 / II, 242, 244; `Uyun al-athar, II, 74, 75.

[14] Ibn Sayyid al-Nas [op. cit., I, 121] met précisément ce point en relation avec l’histoire des Banu Quynuqa et les faux versets supposés apparaître dans la Sourate 53 du Qur’an et qui fut utilisé à l’époque par les polythéistes Mecquois comme une reconnaissance de leurs divinités. L’auteur explique comment différents érudits ont disposé du problème, et ensuite résume en déclarant que d’après lui, cette histoire doit être traitée de la même manière que les histoires des maghazi et les récits de la Sira [ne pas leur accorder une acceptation non critique]. La plupart des érudits, déclare t’il, traitent généralement ces questions de moindre importance de façon plus libérale et n’importe quelle affaire ne concernant pas un point de la loi, comme les récits des maghazi et autres rapports similaires. Dans ces cas là, les données sont acceptées alors qu’elles ne le seraient pas si elles concernaient la définition de ce qui est licite ou illicite.

[15] Voir point 18 plus bas

[16] Tabari, Tarikh, I, 1499 [où la référence est à al-Waqidi, Maghazi, II, 513]; Zad al-Ma‘ad [ed. T.A. Taha, Caire, 1970], II, 82 ; Ibn Kathir, op. cit., IV, 118.

[17] Sur ce point, voir W. Arafat, « Premières critiques des poésies de la Sira », BSOAS, XXI, 3, 1958, 453-63.

[18] Kadhdhab and Dajjal min al-dajajila.

[19] Uyun al-athar, I, 16-7. Dans sa précieuse introduction, Ibn Sayyid al-Nas fourni une enquête détaillée des controverses sur Ibn Ishaq. Dans son introduction complète à l’édition Gottingen de la Sira, Wustenfeld se réfère beaucoup à Ibn Sayyid al-Nas.

[20] Tahdhib al-Tahdhib, IX, 45. Voir aussi `Uyun al-athar, I, 16-7.

[21] ibid.

[22] Qur'an, s. 35, 18.

[23] Qur'an, s. 41, 4.

[24] ed. Khalil Muhammad Harras, Caire, 1388 / 1968, 241.

[25] Significativement, il y a peu ou pas d'informations dans les dictionnaires géographiques généraux ou spéciaux, comme al-Bakri's, Mu`jam ma'sta`jam; al-Fairuzabadi's al-Maghanim al-mutaba fi ma`alim taba [ed. Hamad al-Jasir, Dar al-Yamama, 1389 / 1969] ; Six traités [Rasa'il fi tarikh al-Madina, ed. Hamad al-Jasir, Dar al-Yamama, 1392 / 1972] ; al-Samhudi, Wafa' al-wafa' bi-akhbar dar al-Mustafa [Caire, 1326], etc.

Même al-Samhudi ne semble prendre la mention de la place du marché que comme une simple référence historique, dans sa grande topographie de Médina, il identifie la place du marché (p. 544) de façon quasi superficielle, lorsqu’il explique le changement de nomenclature qui remplaça les points de repère adjacents. Cette place du marché, dit-il, est celle citée dans l’histoire (sic) où le Prophète fit amener les prisonniers de Banu Qurayda à la place du marché de Médina, etc.

[26] p. 247, j’ai une dette envers mon ami le Professeur Mahmud Ghul de l’Université Américaine de Beyrouth, pour avoir porté à mon attention cette référence.

[27] d. 157/774. Voir EI, sub nomine

[28] Sira, 689 / II, 240; al-Waqidi, op. cit., 512.

[29] Sira, 689 / II, 240; Ibn Kathir, op. cit., III, 238.

[30] e.g., Nasab Quraysh [ed. A. S. Harun, Caire, 1962], 340.

[31] op. cit., II, 634, 684.

[32] op. cit., III, 415.

[33] A. Guillaume, Islam [Harmondsworth, 1956], 10-11.

[34] De bello Judaico, I, 4, 6.

[35] ibid., VII, 9, 1.

[36] ibid., VII, 10, 1

[37] Sira, 685-6 / II, 235-6.

[38] Sira, 352, 396 / I, 514, 567.

[39] The Times, 18 août 1973; et The Guardian, 20 août 1973

Compléments :

La Sahifa de Médine est consultable à cette adresse : http://www1.umn.edu/humanrts/arab/IS-1.html

SOURCE : http://www.jews-for-allah.org/jewish-mythson-islam/muhammad_900_jews_notkilled.htm