Qui étaient les Barbares ?

INTRODUCTION

QUI ÉTAIENT LES BARBARES ? Depuis Christophe Colomb, jusqu'au dernier chroniqueur de la Conquista, tous, unanimes, nous rapportent que les premiers Européens débarqués aux Antilles ou sur le Continent furent pris pour des dieux. On leur offrait des sacrifices, leur faisait des offrandes - comme ils avaient l'habitude de le faire envers leurs dieux locaux, on leur brûlait de l'encens.

Hélas! Cette euphorie ne dura que le temps qu'il leur fallût pour s'apercevoir qu'ils s'étaient trompés sur la qualité de leurs "hôtes". Revenus de leur méprise, les Indiens remplacèrent l'encens et les offrandes par des flèches et des massues pour répondre à la pacification qui consistait à les terroriser en leur coupant les mains(1) et en renvoyant les suppliciés chez eux munis du conseil de "porter cette lettre aux autres". N'ayant pas trouvé cela encore suffisant pour leur insuffler la terreur et afin de les soumettre, les conquistadores prirent des élites du peuple des Aztèques qu'ils jetèrent vivants en pâture à des lévriers sauvages dressés pour être friands de chair d'Indiens(2). Ce fut alors que jaillit des entrailles du peuple de Guahutémoc à leur adresse le cri de BARBARES. 

Cette conduite des conquistadores espagnols avait alors provoqué l'indignation des nations situées au Nord des Pyrénées. Indignation très justifiée, mais à sens unique puisque ces mêmes nations firent "mieux" avec la Traite des Noirs, en donnant délibérément en pâture à des requins des esclaves Africains, dans le but de toucher des primes d'assurances ou pour délester, en cas de tempête, leurs navires surchargés, leurs Géhennes Flottantes comme les appela Aimé Césaire(3). 

Ce ne fut pas uniquement la Traite qui coûta la vie à 200.000.000 d'Africains - d'après le très modéré et ami de l'Europe Léopold Sédar Senghor, Président du Sénégal. Le colonialisme eut aussi son rôle : 

le roi Léopold II de Belgique est mort au début du 20e siècle avec 15.000.000 de Congolais sur sa conscience(4). Léopold avait été précédé par d'autres héros de la "mission civilisatrice", tels que Sir Cecil Rhodes(parrain de la Rhodésie), le général Von Totra, le général Gallieni.

Revenons à l'Amérique : des planteurs français, anglais et hollandais des "Indes Occidentales" dressaient des chiens à dévorer des Noirs fugitifs, en commençant par les entrailles(5). Ainsi pas de haro sur le baudet espagnol. 

Cela avait commencé à l'ère nouvelle, née de la découverte du Nouveau Monde. Des pillages, massacres, exploitation ou possession de l'homme par l'homme (comme Victor Schoelcher appelait l'esclavage) il y en a toujours eu, tout le long de l'histoire de l'humanité, mais cela s'était fait à échelle artisanale. 

Quarante ans seulement après l'arrivée des conquistadores à Guanahaní, plus de 12.000.000 d'Indiens avaient été exterminés(6). Si on additionnait toutes les victimes de tous les Mongols et on les multipliait par deux, cela dépasse tout juste la moitié de ce chiffre.

C'était la suite de l'ère nouvelle, quand les caravelles de Colomb avaient commencé à remorquer dans leur sillage vers l'Amérique, non seulement la Mort mais aussi la Famine, inconnue jusqu'alors en ces lieux mais endémique en Europe. Avec le concours des pirates négriers de François 1er et d'Elisabeth d'Angleterre, des Stathouders des Pays-Bas et des rois du Portugal, plus de Famine en Europe, mais une richesse pétrie au sang d'Indiens et de Noirs. 

Ce fut sous le prétexte de "libérer les terres de leurs sauvages" qu'on extermina les Apaches au 19e siècle, comme d'autres ethnies indiennes, en les chassant comme du gibier ("Indian Hunt' comme on lira au chapitre du "Dragon Anglo). Il n'y a pas si longtemps, nous lisions encore dans nos dictionnaires encyclopédiques (Espasa-Calpe par exemple) : "Apaches, Indiens sauvages et sanguinaires". C'est cela notre Éthique, et pas seulement celle d'Aristote ou de Spinoza. 

Cette sauvagerie de l'homme civilisé envers les Indiens commença au XVIme siècle. Le père franciscain Motolinia, en apostolat au Mexique, qu'on appelait alors "Nouvelle Espagne", contemporain de la Conquista et des malheurs qu'elle a portés aux Indiens, l'appela APOCALYPSE. De sa part, ami de Cortés et des conquistadores en général, ce qualificatif prenait toute sa valeur sémantique. 

Pour les Indiens, ce fut une Apocalypse sans aucun doute. Je voudrais en parler aujourd'hui, mais rappeler aussi parallèlement qu'à l'occasion de cette Apocalypse naquit une éthique d'amour de l'homme, qui mérite d'être mieux connue. Des moines défendirent les Indiens souvent au péril de leur vie, comme ils firent avec les Guaraní par exemple, qu'ils armèrent, encadrèrent et se battirent à leur tète pour les protéger contre les Européens chasseur d'Indiens. Ils ne luttaient pas seulement pour des réformes, mais c'est le colonialisme en tant que tel qu'ils mettaient en cause. Ils déniaient aux "rois de Castille" tout droit à "subjuguer les Indiens". Las Casas s'adressant à Charles Quint sur un ton de prophète Jérémie, lui disait :

Citation:

"Sa Majesté est obligée, de commandement divin, de faire mettre en liberté tous les Indiens que les Espagnols maintiennent en esclavage"

Ce fut au cri de "Je suis une voix qui clame au sein de la sauvagerie" que le père dominicain Anton de Montesinos fustigeait du haut de la Chaire de la Cathédrale de Saint-Domingue, au soir de l'Avent de 1511. Il s'adressait aux esclavagistes réunis autour du fils de Colomb Don Diego Colón, ahuris de l'entendre, car ils savaient que par "sauvages" il n'entendait pas les Indiens. Ce fut ce sermon qui parla à la conscience du conquistador Bartolomé de Las Casas, pour en faire, d'un conquistador de père en fils, le Bouclier des Indiens. Il leur consacra toute sa vie, développant le sermon de Montesinos en une Éthique au service des opprimés. 

Le père de cette Éthique fut donc Fray Don Bartolomé de Las Casas, évêque au Mexique. Sa foi pour défendre les Indiens ne s'arrêta ni à son diocèse ni même au Mexique. Elle embrasa alors les deux continents américains, du Rio Grande à la Terre de Feu, où une armée de moines haïs et souvent persécutés par les conquistadores firent de 1'évangile une arme contre l'oppression des Indiens. Malheureusement, ce feu ne dura que le temps du XVIme siècle, son extinction s'étant faite en même temps que la décadence de 1'Espagne. 

Las Casas fut le véritable fondateur des droits de l'homme, pour avoir lutté toute sa vie pour les droits d'êtres humains auxquels on avait tout dénié, y compris le droit de vivre. Aucune idéologie, aucune philosophie ne guidait les actions de Las Casas et de ses disciples d'alors. Ils n'étaient guidés que par leur Éthique de l'amour de l'Homme. Pour eux, tous les hommes étaient des fils de Dieu, quelle que fusse la couleur de leur peau. 

Las Casas n'est pas reconnu partout mais, comme écrit l'historien mexicain Justo Sierra, il a un autel dans le coeur de chaque Indien. Près de la Cathédrale de Mexico les Indiens ont érigé un monument à la mémoire du père des droits de l'homme, et à une place proéminente du Ministère de l'Éducation Nationale du Mexique le nom de Las Casas figure entre celui de Platon et du Bouddha. 

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1/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, Mexico 1956, tome II, page 103. 

2/. M. León Portilla, VISION DE LOS VENCIDOS, éd. UNAM, Mexico 1959, page 188. 

3/. F. George Kay, THE SHAMEFUL TRADE, A.S. Barnes and Company, New Jersey 1968, pages 86-87 et 157. 

4/. Mark Twain, KING LEOPOLD's SOLILOQUY, page 52. 

5/. Victor Schoelcher, ESCLAVAGE ET COLONISATION, éd. P.U.F. 1948, page 33. 

6/. Las Casas, BREVICIMA RELACIÓN, Buenos Aire 1953, page 25. 

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