Sadisme, traîtrise et avidité

II. 1/. LE DRAGON WISIGOTH EN AMÉRIQUE LATINE :

b)Sadisme, traîtrise et avidité.

Ce fut justement en cette année 1781 que le légendaire Tupac Amaru s'est mis à la tête d'une insurrection contre la MITA, qui fut littéralement noyée dans le sang : 

"La répression fut épouvantable. Le sang des insurgés coula à torrents au Haut Pérou, et les chefs du soulèvement ont eu leurs bras et jambes attachés à quatre jeunes et vigoureux chevaux et arrachés vifs et palpitants de leurs troncs."(1)

Les Mongols tuaient aussi, mais en coupant tout simplement les têtes, sans sadisme. Il est vrai qu'ils étaient des "sanguinaires barbares asiates". TUER est malheureusement dans la nature humaine et animale. On tue pour vivre, on tue par méchanceté, par bêtise, on tue chez les carnivores et omnivores de la Terre. Mais JOUIR de la tuerie, observer avec une maladive curiosité les souffrances des suppliciés, c'est du sadisme. Jadis on se bousculait pour se placer aux premiers rangs du spectacle des Bûchers et des Écartèlements. Et combien d'autres signes manifestes de sadisme, tels que les bouts d'acier fixés aux ergots des coqs destinés à des combats bien populaires. 

Le sadisme de ceux qui écartelèrent Tupac Amaru et ses compagnons au Haut Pérou avait été inauguré précisément dans la capitale des Incas Cuzco, par le "gran capitán de la Conquista" Francisco Pizarro. Son premier sadisme fut exercé sur une femme. Voici ce que rapporte son biographe Pedro Pizarro, "en termes atténués" écrit Prescott qui le cite : 

Citation:

"Il prit une femme de l'Inca Manco, une jeune et jolie femme à laquelle celui-ci était très attaché. Il ordonna qu'elle soit complètement dénudée, attachée à un arbre, flagellée avec des verges, et lardée par la suite de flèches jusqu'à ce que mort s'en suive."(2)

A son sadisme Pizarro ajoutait une autre "qualité", très répandue chez ses pairs d'alors : la fourberie. Après avoir promis au dernier des Incas, Atahualpa, la vie sauve contre une fabuleuse rançon, après avoir reçu des sujets de cet Inca beaucoup plus d'or que la rançon demandée (3), il le fit exécuter malgré tout par strangulation - au Garrote, comme on faisait récemment encore en Espagne. Cette exécution fut une faveur pour Atahualpa par rapport à celle bien plus cruelle que Pizarro lui réservait, et qui lui fut épargnée par son acceptation in extremis du baptême. C'est ainsi que le dernier des Incas régnant, devenu Juan de Atahualpa (4) échappa à l'horrible sort du Bûcher que lui destinait l'aumônier de Pizarro Valverde. 

Celui-ci avait été gratifié par Pizarro de l'évêché de Cuzco en vertu des droits que le REALPATRONATO conférait au conquérant du Pérou. Cela vaut la peine d'ouvrir ici une parenthèse sur les origines et le fonctionnement du realpatronato qui faisait du roi d'Espagne le PATRON de l'Eglise espagnole. De par cette capitulation du Pape-conquistador Alexandre VI en faveur de la Couronne d'Espagne, les prêtres et hauts prélats de la Colonie comme de la Métropole devaient obéissance à leur roi ou aux représentants du royaume dans la Colonie, vice-rois ou gouverneurs. Ils étaient nommés ou déposés à volonté par leurs catholiques majestés ou leurs représentants sur place. En outre, ce n'était pas à leurs supérieurs hiérarchiques en religion qu'ils devaient prêter serment, mais aux rois ou à ceux qui les nommaient sur place. Et une fois nommés au service de la Couronne, le Saint Siège n'avait plus qu'à consacrer la nomination... 

La conséquence de ce beau travail du Pape Borgia fut que d'une Eglise Universelle on avait fait une Eglise-Maison du roi d'Espagne, avec un clergé séculier de fonctionnaires du roi (5). C'est ainsi que Valverde fut consacré évêque de Cuzco par un Pizarro qui finit ses jours comme un voyou, lardé de coups de poignards par une bande rivale (6). 

La conduite de Pizarro et de ses acolytes ne fut qu'une partie de l'Apocalypse. C'est à l'échelle continentale que le Dragon Wisigoth a semé la désolation. Motolinia, qui nous a dépeint une vision apocalyptique des mines de Huaxycán, était un sincère moine franciscain qui n'aimait pas que l'on parle trop de tout cela. C'était en même temps l'homme qui avait écrit à Charles Quint une longue lettre contre Las Casas, l'accusant de calomnier l'Espagne (7) ; lettre-réquisitoire dans laquelle il consacre une partie en éloges de Cortés. On s'imagine alors la réalité qui régnait en ces lieux, du Nord du Mexique au Sud du Chili, lorsque même Motolinia s'en indigne. C'est pour cela d'ailleurs qu'il lui est souvent donné la parole ici. 

Celui qui se souvient de l'emploi de chevaux dans les mines en Europe encore au début du 20ème siècle, se rappellera aussi qu'il y avait alors une Société Protectrice des Animaux qui menait la lutte contre le procédé barbare qui consistait à enterrer vivants des animaux dans les mines. S'il n'y avait eu pas aux colonies espagnoles et portugaises d'Amérique des Ordres religieux protecteurs d'Indiens, ce n'auraient pas été les épouses des encomenderos qui auraient fondé une société protectrice de ces "chiens d'Indiens", comme elles les appelaient. Hélas ! Les protecteurs des Indiens ne purent qu'atténuer les conséquences de l'Apocalypse que porta le "monde civilise" aux Indiens. 

"Les chiens vivaient mieux que les Indiens parce qu'aux chiens on donnait à manger mais pas à eux." criait le père Pedro de Gante (8) en protestation contre la vie qu'on leur imposait. Et on fit tout cela par AVIDITÉ, par une soif pathologique de l'or. Fray Pedro de Gante écrivait au roi d'Espagne : 

Citation:

"Ils sont les vassaux de Votre Majesté. Ils coûtent le sang du Christ. Jamais, en aucune partie du Monde, on a vu imposer des tribus à des gens sur des biens qu'ils ne possèdent pas. Ils sont tellement misérables, qu'ils n'ont que des herbes et des racines à manger."(8)

On était avide de gagner le plus d'or possible et sans travailler, tout en traitant les Indiens de paresseux. "C'est l'Avidité qui fut la cause de tant de guerres" écrivait le chantre espagnol de LA ARAUCANA, Alonso de Ercilla, un homme qui avait vécu ces guerres de tueurs d'Indiens. Les menteurs de la Conquista ajoutèrent de nombreux zéros aux chiffres sur les sacrifices humains faits par les Indiens, pour mieux jouer aux "porteurs de civilisation". Mais Las Casas leur répondit : 

Citation:

"Les Espagnols sacrifient à leur Déesse AVIDITÉ plus d'Indiens en un an que ceux-ci commirent de sacrifices humains à leurs idoles en cent ans."(9)

Motolinia, faisant chorus avec les menteurs, écrivait que "les Indiens sacrifient tous les trois quatre jours 80.000 hommes à leur dieu Ahuizotl", c'est à dire plus de 20.000 par jour !...(10) Haut menteur pour rester dans l'ambiance, mais retournant à son Christ il devient sérieux pour protester contre le DEPEUPLEMENT des terres conquises, et il dément ses propres mensonges en écrivant : 

Citation:

"L'AVIDITÉ de nos Espagnols a détruit et DEPEUPLÉ cette terre davantage que tous les sacrifices humains et guerres homicides pratiqués du temps du paganisme"(11).

C'était l'intime ami de Cortés et pas l'"énergumène" Las Casas qui écrivait cela. La cause du dépeuplement dont parle Motolinia fut le fait de les faire travailler dans les mines sans leur laisser le temps de semer et planter. Ainsi, c'est affamés qu'ils devaient arracher l'or aux entrailles de la terre, ou le chercher dans les cours d'eau. C'était affamés qu'on les faisait plonger pour la pèche aux huîtres perlières finissant souvent par apaiser, eux les affamés, la faim des requins. Ce fut cette sorte d'esclavage qui causa le dépeuplement, une sorte d'esclavage inconnu dans l'Histoire de l'Humanité avant la Renaissance. Avant l'aube de cette ère nouvelle, en Europe comme en Asie, en Afrique ou ailleurs, l'esclavage était une INSTITUTION sociale sans distinction de couleur, sans le génocide d'une "race inférieure" par une "race supérieure". On n'était pas esclave parce qu'on était Noir, Indien ou Canaque, mais parce qu'on appartenait à la catégorie sociale des esclaves - souvent des blonds aux yeux bleus comme les Anglais que, les voyant au marché d'esclaves à Rome : "ce n'est pas des Anglos mais des Angelos (anges) qu'on devrait les appeler" s'exclamait le Pape Grégoire le Grand. Très souvent même l'esclave s'incorporait à la famille, comme la servante de Molière, comme les innombrables esclaves des Harems de l'Islam qui sont devenues les mamans des futurs Sultans ou Khalifes. Quant à l'Amérique, avant l'invasion des barbares Européens, l'esclavage y était tel que même Motolinia trouvait qu'"il ne méritait pas son noms" : 

Citation:

"Ceux qu'on appelait esclaves, ils leur manquaient beaucoup de conditions pour être appelés tels. Ils avaient leur pécule, ils pouvaient acquérir une propriété, fonder un foyer avec femme et enfants, et ne pouvaient être vendus qu'a certaines conditions."(12)

C'était cela la "barbarie" des Indiens dont parlèrent nos historiens, et dont les barbares Européens avaient été chargés par la providence de civiliser en 

"mettant en esclavage jusqu'à des femmes avec leurs nourrissons de trois-quatre mois au sein, en les marquant au fer rouge grand comme une joue d'enfant,"(13) écrivait avec indignation l'évêque de Michoacán Don Vasco de Quiroga. "Fer grand comme une joue d'enfant avec lequel tout acheteur posait son nom sur la figure de tout esclave. Ils portaient, les malheureux, toute la face marquée au fer rouge."(14) 

Ce fer rouge avait été le Sceau de l'Avidité de l'homme blanc. L'Avidité avait dit Las Casas, l'Avidité lui fit écho Alonso de Ercilla. Mais c'était là, de surcroît, une avidité de VANDALES ! Les Aztèques les appelèrent Barbares. Je ne sais pas comment les appelèrent en quechua les Péruviens lorsqu'ils les ont vus fondre en barre leurs objets d'Art en or, pour pouvoir faire "équitablement" le partage de leur Dieu, sans oublier le Quinto (15) pour Charles Quint : 

Citation:

"L'Histoire ne connaît pas de pareil butin..., le travail pour fondre ces objets était confié à des orfèvres Indiens qui étaient requis à défaire l'oeuvre de leurs propres mains. Ils travaillèrent nuit et jour, mais la quantité à être fondue était telle, que cela avait pris un plein mois. Quand le tout fut réduit en barres d'égale dimension, il fut pesé sous la surveillance de l'inspecteur royal."(16)

...et partagé entre 170 délinquants de vol à main armée, le 171ème étant leur patron Charles Quint. Ainsi le vandalisme eut lieu sous le Haut Patronage de Sa Catholique Majesté, qui mérita pour cela la litière en or massif (17), en plus de son Quinto en or en barres. Mais je ne crois pas que, comme écrit Prescott, "l'Histoire ne connaît pas de pareil butin". Il oublie le compère millénaire de Charles Quint, Alexandre le Grand, qui rasa la sublime Persépolis, en emportant son butin sur 3.000 chameaux et 20.000 Mules (18) sous prétexte de porter aux "Barbares" les "Lumières de l'Hellénisme". Il n'y avait pas encore de christianisme à exporter. Après lui ce furent les Romains les exportateurs de "Lumières". 

Chez les Indiens du Pérou l'or n'avait aucune valeur marchande ; le Veau d'Or y était inconnu. L'or ne servait que pour confectionner des objets d'Art pour le Culte de leur dieu Soleil. Il était un objet au service de leur dieu, d'un dieu dont ils ne se servaient d'ailleurs pas pour gagner de l'or ! Lénine qui ne croyait en aucun dieu et qui ne prévoyait pas d'avenir pour l'or proclama dans un discours sur la NEP, en fin de 1921, "quand nous aurons triomphé à l'échelle mondiale nous ferons des latrines avec l'or" (je cite de mémoire). 

Pour les conquistadores les Indiens qui n'adoraient pas le Veau d'Or étaient des barbares. Une autre caractéristique de leur barbarie fut celle d'attacher davantage de souci à la vie de l'homme qu'a la possession de perles (très appréciées cependant) dont la pêche était rigoureusement interdite (19) à cause des dangers qu'elle comportait pour les pêcheurs. Il est vrai que ceux qui faisaient mourir les Indiens à la pêche aux huîtres perlières, se croyaient absous du péché d'homicide en faisant l'offrande de quelques perles à la Maman du Christ ! 

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1/. Vic. F. Lopez, MANUEL DE LA HISTORIA ARGENTINA, Buenos Aires 1949, page 166. 

2/. William H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume VI, pages 125-126. 

3/. Huit tonnes d'argent, 28 tonnes d'or, et la litière en or massif (pour Charles Quint), sur laquelle était porté l'Inca Atahualpa durant son règne, écrit Ricardo PALMA dans TRADICIONES PERUANAS COMPLETAS, Madrid 1961, page 12. 

4/. L'interprète Indien de Pizarro, Felipillo, était un converti qui n'avait encore rien compris au Dogme de la Trinité. Chargé de l'expliquer à Atahualpa, il lui dit : "trois Dieux ET un seul Dieu" au lieu de trois Dieux EN un seul Dieu. Atahualpa, étonné, après avoir tant entendu parler du Dieu Unique des chrétiens, lui répondit : "alors comme cela, cela fait quatre Dieux". Ce qui lui valut la haine de Valverde. 

5/. Richard Konetzke, SÜD-UND MITTELAMERIKA, F.W.G. Band 22, pages 225 à 247. 

6/. Le premier acte "chrétien" de Valverde fut celui d'établir la Dîme (el Diesmo) chez les Indiens, contre laquelle s'élevaient tant les pères franciscains que les pères dominicains. 

7/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 403. 

8/. Juan Friede, Bartolomé de Las Casas PRECURSOR DE L'ANTICOLONIALISMO, éditions Siglo XXI, Mexico 1974, page 70. 

9/. Idem, page 89. 

10/. Idem, page 114.

11/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 29.

12/. Idem, page 366. 

13/. Vasco de Quiroga, dans HUMANISTAS DEL SIGLO XVI, édition UNAM, Mexico 1946, page 73.

14/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 28. 

15/. QUINTO : le cinquième des rapines, envoyé par les conquistadores à la Couronne. 

16/. William H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume V, page 416.

17/. La litière en or massif, sur laquelle était porté l'Inca Atahualpa durant son règne, écrit Ricardo PALMA dans TRADICIONES PERUANAS COMPLETAS, Madrid 1961, page 12. 

18/. Écrit son admirateur l'helléniste allemand J.G. Droysen : GESCHICHTE ALEXANDERS DES GROSSEN, Kröner Verlag, Leipzig 1939, page 238. Retour ^ 

19/. Garcilaso de La Vega, COMENTARIOS REALES, Livre IV, page 668. 

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