Attitude de la Couronne d'Espagne

I. 5/. L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS :

b)Attitude de la Couronne d'Espagne.

Comment Las Casas put obtenir l'écoute tant de Charles Quint que de Philippe II et être pris au sérieux par eux plus que ne le fut Motolinia? Attribuer cela à sa grande personnalité n'est pas suffisant. Las Cases n'était pas seulement un homme saint. Il était un fin politique en même temps. Il s'était facilement rendu compte que la Couronne, dans ses prérogatives, n'était obéie qu'en paroles par les conquistadores et les colons (encomenderos). On lui envoyait bien le Quinto (1), mais c'est tout! Fidèles à la tradition hidalguiste "obedezco pero no cumplo" (j'obéis mais sans accomplir l'ordre), ils se comportaient sur place en satrapes. Pire encore! Ils se permettaient de mettre aux fers des envoyés officiels de la Couronne et de les renvoyer en retour, quand il ne leur coupaient pas tout simplement la tête. En réalité les conquistadores et les encomenderos ne voyaient que leurs intérêts à court terme tandis que l'intérêt de la couronne était l'usufruit des Indiens à long terme, pour la suite de la Dynastie. Elle ne voulait donc pas que l'on tue la poule aux oeufs d'or, d'autant plus qu'elle pondait des oeufs en or véritable! Même Cortés, impitoyable durant la Conquista, une fois devenu Don Hernán Marqués del Valle aux 23000 vassaux, s'était modéré. Quel éleveur amènerait son bétail d'un seul coup à la boucherie? Le traitement génocide signifiait le tarissement d'un Pactole qui était un gros fleuve par rapport au ruisseau de la Lydie (ancienne contrée d'Asie Mineure sur laquelle coulait la rivière Pactole charriant les paillettes d'or qui enrichirent Crésus). 

Isabel la Catholique, indignée de voir Colomb, son protégé, amener dès le début des esclaves du Nouveau Monde avait demandé dans son testament que l'on fasse des lois pour la protection des Indiens. "Je ne veux pas que de mes vassaux on fasse des esclaves", avait-elle stipulé. Si elle a toléré qu'on le fasse exceptionnellement avec les Indiens Caribes, c'est parce qu'on l'avait persuadée qu'ils étaient cannibales et mettaient en danger la vie des autres Indiens. Les "Lois Pour Les Indes" demandées par Isabel furent promulguées seulement quatre décennies plus tard, en 1542. Las Casas obtint après une longue bataille contre l'évêque sans-Dieu Fonseca des "Nouvelles Lois Pour Les Indiens", les premières s'étant avérées inopérantes. Ces "Nouvelles Lois" furent alors promulguées parce qu'elles répondaient aussi aux intérêts de la Couronne. 

Un autre facteur n'avait certainement pas manqué de jouer un rôle quant au soutien dont avait joui Las Casas auprès de la Cour. Tant pour Charles Quint que pour Philippe II, les intérêts de la Dynastie avaient priorité sur tout le reste. Cependant ils étaient tous les deux croyants, et Philippe même un tantinet bigot. Le confesseur de Charles Quint était le père Loayza, général des Dominicains, donc frère en saint Dominique de Las Casas. On vivait alors des temps où même les relativement croyants se laissaient quand même influencer par la peur de l'Enfer. Les pères dominicains savaient bien alors en ces cas faire bon usage de cette peur. Ce n'étaient pas les Indiens qui leur auraient alors reproché d'avoir par l'intermédiaire de son confesseur rappeler à Charles Quint l'existence d'un Enfer... 

La deuxième raison pour laquelle Las Casas avait l'écoute de la Couronne provenait des tentations manifestes que les conquistadores et les encomenderos avaient de se rendre indépendants de la Métropole. Avec raison donc, la Couronne voyait en Les Casas et les autres Dominicains des alliés contre les démangeaisons indépendantistes des "pieds noirs" d'alors. Qu'un Charles Quint, qui avait vendu une immense région du Nord de l'Amérique du Sud à la maison Welser de Augsbourg pour la chasse à l'homme ait soutenu Las Casas contre colons et conquistadores par charité chrétienne on peut en douter. La célébrité de Las Casas et son grand prestige en Espagne comme à la Colonie étaient donc dus aussi en grande partie à cette "alliance" bien circonstancielle entre Couronne et défenseurs des Indiens. 

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1/. QUINTO : le cinquième des rapines, envoyé par les conquistadores à la Couronne. 

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