Combats fratricides

I. 4/. QUI ÉTAIENT LES CONQUISTADORES :

b)Combats fratricides. 

Voici maintenant un petit résumé des moeurs que fit régner dans la colonie la gent conquistadore : le gouverneur Pedrarias fit trancher la tête de son gendre et néanmoins rival en banditisme, Vasco Nuñez de Balboa. Celui-ci avait pourtant été le premier européen à mouiller ses bottes sur la rive occidentale de Panamá, prenant ainsi "possession" de l'Océan Pacifique (appelé alors "mer du sud" ) au nom de Leurs Catholiques Majestés. Malgré "avoir fait couper la tête de son gendre l'Adelantado Vasco Nuñez de Balboa"(1), Pedrarias alla certainement embrasser sa fille et ses petits enfants, devenus orphelins par les Hautes Oeuvres de Pépé, un pépère octogénaire!! 

Au même moment, plus au Nord, Cortés investissait la Gran Tenotchtitlán, pour mettre aux pieds de Charles Quint un immense Empire. En récompense, le gouverneur de Son Impériale Majesté à Cuba, Velazquez, envoya le falot personnage Pánfilo de Narvaez à la tête d'une armée pour s'emparer de lui et le condamner comme "traître à Sa Majesté". La première chose qu'entreprit alors l'envoyé de Velazquez arrivant sur le continent, fut de faire adhérer les tribus indigènes à une guerre contre le conquistador concurrent Cortés, leur promettant tout pour obtenir leur alliance. Cortés, un brigand d'un autre calibre que le minus habens Narvaez, informé à temps par ses barbouzes, intrépide, prend Pánfilo de vitesse en le surprenant traîtreusement dans son lit. Il le fait prisonnier et évite ainsi la "catastrophe" (qui n'en aurait pas été une pour les Indiens) qui aurait coûté la vie à toute la bande de Cortés qui aurait été probablement sacrifiée sur les autels du dieu aztèque de la guerre Huitchilopotchtli. 

Les cas au cours desquels les conquistadores se firent la guerre comme les roitelets des Espagnes se la faisaient du temps des Wisigoths, en s'alliant à des roitelets arabes de la Péninsule, sont si nombreux qu'on ne pourrait les énumérer ici. On appela, par euphémisme, "guerres civiles" ces batailles que se livraient les bandes rivales. Sous la pression de personnalités, informées par les ordres religieux de la conduite barbare de leurs compatriotes au Nouveau Monde, en violation des Lois Pour Les Indes, la Couronne envoya au Pérou comme premier Vice-Roi le vieux Blasco Nuñez. On espérait que, par le prestige de son investiture et par respect pour son âge, LAS LEYES PARA LAS INDIAS, destinées à adoucir le sort inhumain fait aux Indiens, seraient enfin respectées. Gonzalo Pizarro, que son frère anobli en "Don Francisco" avait nommé gouverneur du Pérou, livra bataille au Vice-Roi envoyé par Madrid, le fit prisonnier, puis décapiter. On promena sa tête de vieil homme à barbe blanche au bout d'un pic, pour que chacun puisse lui arracher des poils comme "porte-bonheur". Charles Quint "encaissa", comme il encaissait le QUINTO(2). La Couronne envoya des représentants pour voir d'un peu plus près la conduite de Cortés : 

Citation:

"Cristobal de Tapía, envoyé comme gouverneur et juge enquêteur, n'a pu remplir ses fonctions à cause de l'opposition qu'il rencontra chez les conquistadores, qui, à la fin, le chassèrent du pays. L'envoi de l'inspecteur Luis Ponce n'eut pas plus de résultats car la mort l'emporta à peine arrivé à Mexico, et beaucoup affirmaient que c'est à un crime de Cortés que devait être attribué un aussi funeste évènement. Le même soupçon naquit suite à la mort subite du gouverneur de Pánuco, Francisco de Garay. Le successeur de Luis Ponce, Marcos de Aguilar ne lui survécu pas longtemps non plus. Ce concours de circonstances, provoqué à dessein pour détruire tous ceux qui auraient pu porter ombrage à l'autorité de Cortés, semblait étrange."(3)

Un vrai Panier de Crabes, sur le modèle wisigoth! Ponce de León, célèbre par ses massacres à Puerto Rico, de Garay, calamité des Indiens de Pánuco par sa chasse à l'homme, Cortés, coupeur de mains d'Indiens, réglaient leurs comptes en "Gran Capitanes de la Conquista". 

Sur le nombre des conquistadores il y eut aussi quelques rarissimes et sympathiques Don Quichottes qui crurent sincèrement au prétexte de la "christianisation". Parmi ces Merles Blancs, le plus sympathique est sans doute Alvar Nuñez Cabeza de Vaca. Qu'ont fait les autres conquistadores à cet honnête homme qui ne rêvait que de "hazañas" (prouesses) et non de banditisme? Il fut d'abord leur supérieur hiérarchique, nommé par Charles Quint gouverneur général de la province de Rio de La Plata. 

Lorsque ses administrés s'aperçurent qu'on ne pouvait pas le corrompre pour être libre de faire ce que l'on voulait des Indiens, qu'il cherchait même à mettre un frein à leur banditisme et à leur immoralité, la conspiration monta pour sa perte. Ils l'arrêtèrent comme "traître à Sa Majesté", le mirent aux fers, et le renvoyèrent à Madrid en essayant, en cours de route, de l'empoisonner au réalgar(4). Alvar Nuñez était l'autre Espagne, perdue dans la jungle des soi-disant porteurs du "flambeau de notre civilisation"(!?). Ces Don Quichottes furent si peu nombreux! 

Il y eut de nombreuses batailles rangées, de vraies guerres, entre conquistadores rivaux. La plus célèbre fut celle des ex-frères d'armes contre les Incas, Pizarro et Almagro. Ceux-ci se sont battus pour le partage des dépouilles incas avec une telle sauvagerie, que les Indiens, les voyant faire de loin, furent épouvantés de leur férocité. Les uns partaient à l'assaut aux cris de "Pour le Roi et Pizarro", les autres criaient plus fort "Pour le Roi et Almagro". A la fin, les hommes de Pizarro firent "justice" du vieux tigre Almagro. Plus tard, les hommes de Almagro firent également "justice" de Pizarro, en l'égorgeant dans son Palais de Lima. Le Marqués de Los Atavillos finit sa carrière, lardé des coups de plusieurs poignards, ceux de ses ex-complices, comme dans un règlement de comptes d'hommes du milieu. Pour payer leur tribu à la pudeur, les historiens appelèrent ces règlements de comptes des "guerres civiles". Le poète national du Chili Pablo Neruda les appela par leurs vrais noms : 

"Almagros et Pizarros et Valverdes(5) 

s'entre poignardaient en se partageant 

les trahisons acquises. 

Se volaient l'or et les femmes... 

Centaures tombés dans la boue 

de l'avidité..."(6)

Le chantre espagnol de La Araucana, témoin oculaire des massacres d'Indiens, écrit à propos du tueur d'Araucans Valdivia : "C'est l'avidité qui fut la cause de tant de guerres".(7) 

Les conquistadores prétendaient aller au Nouveau Monde pour "combattre les faux dieux" et porter aux Indiens la vraie Foi. Ils ne respectèrent cependant l'Eglise de "leur" Foi que lorsqu'elle n'était pas un obstacle à leurs besognes. Autrement, sus à ses prêtres! Si un de leurs rivaux risquait de subir leur "justice" et allait, pour leur échapper, chercher Asile à l'Autel d'une Eglise, ils bousculaient prêtres et moines pour récupérer le "coupable", à punir "au nom de Sa Majesté". C'est ce qui se passa un jour dans l'Eglise du Couvent de San Francisco à Tlaxcala, au Mexique. Les conquistadores firent irruption pour y arracher deux de leurs victimes en maltraitant et brutalisant les prêtres qui voulaient défendre l'Asile de leur Maison de Dieu. Cela se fit au scandale des Indiens récemment convertis, qui étaient habitués dans leur religion à plus de respect pour les Temples et ses prêtres. De ces "coupables à punir" enlevés de force à l'Autel de l'Eglise, l'un fut pendu, puis écartelé; à l'autre ils coupèrent un pied. C'était là le spectacle des moeurs "chrétiennes" donné aux Indiens. Devant ce scandale, moines franciscains et dominicains, avec à leur tête Mgr Sumarraga, partirent en procession pour protester contre des moeurs discréditant leur apostolat. Nos Hidalgos attaquèrent la procession à coups de lances, dont une manqua de justesse l'archevêque du Mexique Zumarraga(8). Que restait-il alors d'autre aux religieux que les armes de leur sacerdoce? Le jour de Pentecôte, Zumarraga charge le prédicateur Antonio Ortiz de les sermonner du haut de la Chaire de son Eglise. Mal en prit au pauvre moine! Delgadillo le fit descendre brutalement de sa Chaire, en pleine Messe, et traîner par ses habits sacerdotaux...(9) 

Était-ce là des Espagnols? Oui! mais ils étaient surtout représentatifs de l'Europe de la Renaissance. Ce fut un concours de circonstances qui fit que se soient des Espagnols. Si, en effet, un autre roi d'Europe avait donné suite aux offres de Colomb, d'autres européens auraient peut-être fait encore "mieux". C'est d'ailleurs ce qui c'est produit plus tard en Amérique du Nord avec les Peaux-Rouges. Au lieu d'un Las Casas pour les freiner, il n'y eut que le théologien calviniste Cotton Mathers pour les encourager. En Amérique hispano-lusitane au moins, la plupart des Indiens survécurent. L'explication ne tient pas seulement aux différences de structures économiques entre Espagne, Portugal et le reste de l'Europe, mais aussi à une Éthique et à des hommes différents produits par cette Éthique. Ceux-ci, au contant direct de l'Orient (comme on lira au chapitre suivant) surent mieux protéger le christianisme de sa germanisation(10). Americo Castro, auteur de LA REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, y faisant allusion écrit : "christianisme modifié par l'Orient". Ne serait-il pas plus juste d'écrire "régénéré par l'Orient, retourné à sa Source"? Laissons le soin de la conclusion à un sauvage Indien répondant aux offres de conversion d'un moine. 

Citation:

"Voyez-vous, mon Père, vous êtes chrétiens parce que Dieu naquit parmi vous, étrangers; mais s'il s'était incarné parmi nous, c'est nous qui aurions été chrétiens, et aurions été meilleurs que vous. Parce que vous versez du sang, vous faites des guerres et vous êtes cruels."(11)

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1/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PERÚ, Buenos Aires 1945, page 49. 

2/. QUINTO : le cinquième des rapines, envoyé par les conquistadores à la Couronne. 

3/. J.Garcia Icazbalceta, FRAY JUAN DE ZUMARRAGA, Buenos Aires 1952, page 24. 

4/. Pero Hernandez, COMENTARIOS de Alvar Nuñez Cabeza de Vaca, Espasa-Calpe éditeurs, Madrid 1971, page 224. 

5/. Valverde, un conquistador aumônier, sacré évêque de Cuzco par Pizarro, au nom du REALPATRONATO accordé par le Pape Alexandre VI aux rois catholiques, comme on lira au chapitre du "Dragon Godo". 

6/. Pablo Neruda, CANTO GENERAL, 1ère partie, Chant III. 

7/. Alonso de Ercilla, LA ARAUCANA, Chant III (la mort de Valdivia). 

8/. J.Garcia Icazbalceta, FRAY JUAN DE ZUMARRAGA, Buenos Aires 1952, pages 54 à 56. 

9/. Idem, page 44. 

10/. L'historien allemand Johannes Haller, (PAPSTTUM IDEE UND WIRKLICHKEIT, Rowohlt 1965, tome II, pages 326 à 327) soutient avec raison, je crois, qu'il n'y a pas eu christianisation des Germains, mais "germanisation du christianisme". Par germanisation il ne faut naturellement pas entendre "allemanisation", mais occidentalisation. 

11/. Mariano Izquierdo Gallo, MITOLOGIA AMERICANA, Madrid 1957, page 192. 

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