Les Banu an-Nadîr  (4 H. / 626 J.-C.)

5. Les Banu an-Nadîr  (4 H. / 626 J.-C.)

Au cours de cette année, la situation des musulmans fut assez compliquée car ils venaient de subir une défaite à Ouhoud ce qui engendra de multiples conséquences dont la moindre fut d’avoir entamé leur prestige aux yeux des tribus limitrophes.

L’affaiblissement des musulmans était connu de tous, et de nombreuses expéditions furent organisées contre eux pour essayer de tirer parti de cet état de fait. Le Prophète (sws) envoyait, parfois prévenu des attaques qui se tramaient contre lui, des expéditions de 100 ou 200 hommes pour neutraliser les différentes tribus hostiles ou prévenir d’une éventuelle agression.

Ce contexte nous aide a mieux comprendre pourquoi la tribu des Banu an-Nadîr fut expulsée. En effet, il s’agissait d’une des trois grandes tribus juives de la Péninsule qui avait signé le Pacte de Medine. Elle était installée dans des jardins et quartiers forts aux alentours de la ville, à environ 4 km de Médine. Leur expulsion se fit au cours de l’an 4 H.

D’après Ibn Ishâq, le Prophète (sws) alla solliciter l’aide financière des Banu an-Nadîr au sujet du versement du prix du sang pour les 2 hommes des Banu ‘Amer qui étaient liés par un pacte avec ce dernier. Ils furent tués, involontairement, par un musulman en représailles pour les 40 musulmans assassinés par certains membres des Banu ‘Amer.

En effet, le pacte de Médine reconnaissait une entraide entre Juifs et musulmans.

Les Juifs simulèrent d’accéder à la requête du Prophète (sws). Lors des pour-parlers avec leur chef Huyayy, leur comportement parut plus qu’étrange. Ils ne proposèrent rien de concret et convinrent même d’assassiner le Prophète (sws) par traîtrise car l’occasion étant trop belle pour le laisser s’échapper.

La tradition rapporte que Dieu dévoila le dessin funeste des Juifs à Son Prophète (sws) qui quitta aussitôt les lieux et réussit à rentrer à Médine sain et sauf avec ses compagnons.

C’est ici la version la plus utilisée par les historiens. Cependant, le professeur Hamidullah la conteste dans ce qui suit :

Point 949 - [...] Ce récit n’explique cependant pas pourquoi les Juifs des Banu an-Nadîr étaient tenus de participer au prix du sang versé chez leurs alliés, versé non pas par les Juifs mais par un musulman. Le copiste du MS d’Ibn Ishâq a peut être sauté ici un passage intermédiaire. Selon l’autre récit, fait par Ibn Mardûyeh avec une chaîne impeccable de narrateurs, ainsi que par ‘Abd ibn Humaid dans son commentaire du Coran (récit évidemment préférable et préféré par Samhûdî et cité dans son Wafâ al-wafâ, 2è éd., p.298), après la défaite de Badr, les païens de la Mecque écrivirent aux Banu an-Nadîr, pour les inciter à combattre le Prophète (l’expulsion des Juifs des Banu Qaynuqa’ avait déjà causé des préoccupations à ces autres juifs des Banu an-Nadîr, devant la puissance sans cesse grandissante des “Gentils” musulmans). Ainsi, ils se décidèrent à un traitre complot : ils invitèrent le Prophète un jour, disant : “viens chez nous avec trois de tes compagnons, et nous te feront rencontrer trois de nos savants. Si ceux-ci ajoutent foi à toi, nous te suivrons. Ces trois Juifs cachèrent des dagues (dans leurs vêtements). Une femme chez les Banu an-Nadîr envoya quelqu’un à un frère à elle d’entre les Ansâr musulmans, divulguant l’affaire (du complot) des Nadîrites ; et ce frère à elle en fit part au Prophète avant que celui-ci ne parvienne dans leur quartier. Le Prophète rebroussa chemin [...]

Quelle que soit la véritable cause de la tentative d’assassinat du Prophète (sws), les Juifs des Banou an-Nadîr rompirent le pacte de Médine.

Le Prophète (sws) leur envoya alors Muhammed Ibn Maslama avec pour missive de leur faire quitter les lieux : “Je vous somme de partir hors de mon pays car je vous interdit désormais de cohabiter avec moi puisque vous avez noué un tel complot. Je vous accorde un délai de 10 jours au-delà duquel le cou sera tranché à quiconque d’entre vous qui sera encore là.”

Ibn Ubayy (l’hypocrite de Médine) promit aux Juifs qu’il les aiderait en leur envoyant une aide militaire d’environ 2000 guerriers. En outre, il ajouta que les Banu Qurayza et les Ghatafânes (tribu arabe qui participera au siège de Médine en l’an 5 H.) leur prêteront mains fortes. Relatant ce fait, nous lisons dans le Coran:

N'as-tu pas vu les hypocrites disant à leurs confrères qui ont mécru parmi les gens du Livre : «Si vous êtes chassés, nous partirons certes avec vous et nous n'obéirons jamais à personne contre vous; et si vous êtes attaqués, nous vous secourrons certes». Et Allah atteste qu'en vérité ils sont des menteurs. S'ils sont chassés, ils ne partiront pas avec eux; et s'ils sont attaqués, ils ne les secourront pas; et même s'ils allaient à leur secours, ils tourneraient sûrement le dos; puis ils ne seront point secourus.

Saint-Coran, Sourate Al-Hichr 59,11-12

Cette fausse promesse berça les Juifs d’illusions et leur chef de répondre au Prophète (sws) : “Nous refusons de nous expatrier quoique tu fasses”.

Ils furent alors assiégés, et aucun parmi les Banu Qurayzah, Ghatafânes ou ibn Ubayy et ses 2000 hommes ne leur vinrent en aide. Au bout de  6 jours de siège, le Prophète (sws) ordonna de couper leurs palmiers - exception à la règle générale - afin de les pousser à la capitation. C’est ainsi qu’ils se replièrent après 15 jours de siège.

Le Prophète (sws) ne les autorisa à prendre qu’une seule charge de chameaux par famille. Avant de partir, ils saccagèrent leurs maisons de leurs propres mains - pour que les musulmans ne puissent y habiter - en démontant ce qu’ils jugeaient de valeurs, telles que les portes de bois qu’ils chargèrent sur leurs chameaux. Ce lamentable spectacle nous est décrit dans le Coran :

C'est Lui qui a expulsé de leurs maisons, ceux parmi les gens du Livre qui ne croyaient pas, lors du premier exode . Vous ne pensiez pas qu'ils partiraient, et ils pensaient qu'en vérité leurs forteresses les défendraient contre Allah. Mais Allah est venu à eux par où ils ne s'attendaient point, et a lancé la terreur dans leurs coeurs. Ils démolissaient leurs maisons de leurs propres mains, autant que des mains des croyants. Tirez-en une leçon, ô vous êtes doués de clairvoyance.

Saint-Coran, Sourate Al-Hichr 59,2

Ce spectacle fut d’autant plus pitoyable qu’Ibn Ishâq rapporte qu’ils quittèrent les lieux avec un faste et un apparat alors jamais vu chez les gens de l’époque : ils emportèrent leurs femmes et leurs enfants, ainsi que leurs biens tandis que leurs esclaves chanteuses les suivaient en jouant des tambourins et autres instruments de musique. Il était connu que les Banu an-Nadîr étaient opulents, mais personne, en dehors de leur communauté, n’avait eu l’occasion d’en mesurer les richesses.

Le Prophète (sws) partagea par la suite tout ce qui n’avait pu être pris, à savoir : 50 armures, 50 heaumes et 340 épées. Il en donna une partie pour soulager les pauvres parmi les émigrés de la Mecque et se fit une provision d’orge et de dattes d’une année de ce qu’il restait pour parer au besoin de ses épouses et des Banou ‘Abd al-Mouttalib.

Le Coran détaille d’ailleurs ce partage :

Le butin provenant [des biens] des habitants des cités, qu'Allah a accordé sans combat à Son Messager, appartient à Allah, au Messager, aux proches parents, aux orphelins, aux pauvres et au voyageur en détresse, afin que cela ne circule pas parmi les seuls riches d'entre vous. Prenez ce que le Messager vous donne; et ce qu'il vous interdit, abstenez-vous en; et craignez Allah car Allah est dur en punition. [Il appartient aussi] aux émigrés besogneux qui ont été expulsés de leurs demeures et de leurs biens, tandis qu'ils recherchaient une grâce et un agrément d'Allah, et qu'ils portaient secours à (la cause d') Allah et à Son Messager. Ceux-là sont les véridiques. Il [appartient également] à ceux qui, avant eux, se sont installés dans le pays et dans la foi, qui aiment ceux qui émigrent vers eux, et ne ressentent dans leurs coeurs aucune envie pour ce que [ces immigrés] ont reçu, et qui [les] préfèrent à eux-mêmes, même s'il y a pénurie chez eux. Quiconque se prémunit contre sa propre avarice, ceux-là sont ceux qui réussissent. Et [il appartient également] à ceux qui sont venus après eux en disant : «Seigneur, pardonne-nous, ainsi qu'à nos frères qui nous ont précédés dans la foi; et ne mets dans nos coeurs aucune rancoeur pour ceux qui ont cru. Seigneur, Tu es Compatissant et Très Miséricordieux».

Saint-Coran, Sourate Al-Hichr 59,7-10

Une partie d’entre les expulsés s’exila à Khaybar dont certains de leurs chefs comme Salâm ibn Abou al-Huqayq, Kinâna al-Rabi’ et Huyayy ibn Akhtab, tandis que les autres allèrent trouver refuge en Syrie.

Concernant ceux qui se réfugièrent à Khaybar, ils ne renoncèrent pas pour autant à comploter contre le Prophète (sws). Bien au contraire! leur récente humiliation ajouta à leur haine, une haine bien plus immense encore.

Le Prophète (sws) n’avait jamais cessé d’être généreux et clément après les batailles malgré les trahisons et le manque de reconnaissance de ses ennemis : il avait retrouvé certains captifs graciés après Badr à Ouhoud et cette fois encore, il allait retrouver certains chefs et autres membres des Banu an-Nadîr, partis se réfugier à Khaybar, parmi les Coalisés qui allaient se liguer contre lui quelques mois plus tard ...

Et Dieu sait mieux ce qu’il en est !

Références :

[1] Tariq Ramadan, Muhammad, vie du Prophète : les enseignements spirituels et contemporains, éditions Presses du Chatelet, 2006

[2] Muhammad Hamidullah, Le Prophète de l’Islam : sa vie, son oeuvre, éditions El-Najah, 1998

[3] Ibn Kathîr, As-Sîra : la biographie du Prophète Mohammed (sws) - Les débuts de l’Islam, éditions Universel, 2007

[4] Martin Lings, Le Prophète Muhammad : sa vie d’après les sources les plus anciennes, éditions du Seuil, 1986

[5] Safiyyu ar-Rahmân Al-Mubârakfûrî, Muhammad l’utilme joyau de la Prophétie, éditions Maison d’Ennour, 2006

[6] Muhammad Redha, Muhammad le Messager de Dieu (sws), éditions Al-Maktaba al-’Asriyya, Beyrouth, 2009

[7] Mohammed El-Khudhary, Lumière de la certitude : la vie du Prophète de l’Islam, éditions Iqra, 2009