Culture

I. L'EUROPE À L'ASSAUT DU NOUVEAU MONDE.

I. 1/. LES AMÉRINDIENS PRÉCOLOMBIENS :

a)Culture. 

Citation:

"... les Indiens et leur civilisation furent tellement détruits et maltraités par les Espagnols, qu'il n'en est rien resté de ce qu'ils étaient auparavant. Ainsi on les tient pour des barbares et pour des gens du plus bas degré. Mais en vérité, en matière de civilisation, ils pourraient en montrer à beaucoup de nations qui ont la présomption d'être civilisées."(1)

L'auteur de ces lignes quitta sa chaire de professeur à l'Université de Salamanque pour aller, en tant que moine franciscain, en "Nouvelle Espagne" (comme on appelait alors Le Mexique). Il s'y consacra à la protection des Indiens et au sauvetage de ce qui pouvait encore l'être, malgré que le pays fut encore aux mains de nos barbares Européens qui avaient suivi Christophe Colomb. L'oeuvre de Fray Bernardino de Sahagún fut "monumentale", au dire de Americo Castro. 

Au même siècle, une grande voix s'élevait aussi en France contre la présomptueuse tradition européenne consistant à traiter de "barbare" toute civilisation qui ne serait pas le reflet de la sienne. Au sujet des Indiens du Brésil, qui vivaient pourtant encore à l'âge de pierre, Montaigne écrit :

Citation:

"J'ai vu autrefois parmi nous des hommes amenés par mer de lointains pays, desquels parce que nous n'entendions pas le langage, et que leur façon, au demeurant, et leur contenance, et leurs vêtements étaient de tout éloignés des nôtres, qui de nous ne les estimait et sauvages et brutes? Qui n'attribuait à stupidité et bêtise de les voir muets, ignorant la langue française, ignorant nos baisemains et nos inclinations serpentées, notre port et notre maintien, sur lesquels, sans faillir, doit prendre son patron la nature humaine."(2)

L'opinion de Sahagún sur les civilisations indiennes détruites fut confirmée brièvement par un autre témoin oculaire, le père jésuite José de Acosta, dans son HISTORIA NATURAL Y MORAL DE LAS INDIAS : 

Citation:

"... de plus, écrivit-il, sans savoir rien de cela (qu'ils "rendent des points à beaucoup de nos républiques"), nous pénétrons chez eux épée en main, sans les écouter ni les entendre, et nous ne voulons croire que les choses des Indiens méritent autre considération que celle de la chasse à l'homme pour les mettre à discrétion à notre Service."(3)

Le niveau culturel des Incas et des Mayas était alors bien supérieur à celui des conquistadores, dont la plupart étaient des illettrés, et les Aztèques aussi auraient pu leur rendre des points dans ce domaine. 

Ceci explique l'étonnement de Fray Toribio de Benavente (Motolinia) de voir les Indiens du Mexique (où il exerçait son apostolat), une fois convertis au christianisme, apprendre si vite le latin qu'au bout de cinq ans d'enseignement ils confondaient déjà les clercs espagnols(4). Il en fut tellement impressionné qu'il consacra le chapitre LIX de son ouvrage MEMORIALES sur "L'INGÉNIOSITÉ ET HABILITÉ DES INDIENS EN SCIENCES DE LIRE, ÉCRIRE, COMPTER, ET JOUER DE LA MUSIQUE"(5). Il précise qu'en musique "Les Indiens apprennent en deux mois ce qu'en Espagne les Espagnols n'apprennent pas en deux ans"(6). Notons qu'il s'agit là du Mexique, dont le niveau de civilisation des Aztèques était, pour moi, légèrement mois développé que celui des Incas ou des Mayas. Malgré tout, leur 

Citation:

"calendrier qui est réglé sur la révolution annuelle du soleil, non seulement par l'addition de cinq jours tous les ans, mais encore par la correction du bissextile, doit sans doute être regardée comme une opération déduite d'une étude réfléchie et d'une grande combinaison. Il faut donc supposer chez ces peuples une suite d'observations astronomiques, une idée distincte de la sphère, de la déclinaison de l'écliptique et l'usage d'un calcul concernant les jours et les heures des apparitions solaires."(7)

C'était là le calendrier des Aztèques. Quant à celui des Mayas, 

Citation:

"Leurs prêtres calculaient l'année astronomique avec 365,2420 jours, s'approchant ainsi davantage de nos calculs d'aujourd'hui qui sont de 365,2425 jours."(8)

Ils faisaient donc usage d'un calendrier plus exact que celui de Grégoire XIII(9). On ne peut naturellement juger du niveau d'une civilisation par la seule supériorité de son calendrier. Dans le domaine religieux, nous avons également des informations, car parallèlement au rite chrétien, les Mayas continuèrent leurs pratiques ésotériques précolombiennes. Parmi les rares hommes qui ont eu le privilège de gagner leur confiance et assister à leurs Mystères, l'indianiste Rafael Girard, fort impressionné de leur mysticisme, écrit : 

Citation:

"d'avoir joui du rare privilège d'être admis à assister à ces étranges cérémonies de profond mysticisme, j'ai vu se poser un autre problème, celui du langage métaphorique qui n'est pas à la portée de notre entendement."(10)

Ce mysticisme des Mayas doit être d'un niveau civilisateur supérieur puisqu'il a formé des hommes à propos desquels : 

Citation:

"Les anthropologues qui se penchèrent de près sur les Indiens Maya ou Quiché distinguent leurs traditionnelles qualités comme suit : coexistence harmonieuse, domination de soi, pacifisme, altruisme, amour de la Justice, de la Vérité..."(11)

Rafael Girard écrit encore ailleurs, d'après ses propres observations : 

Citation:

"Durant les travaux agricoles qui constituent l'activité de base des Indiens, et qui s'exécutent par le système d'aide mutuelle, l'application du principe social collectif est notoire."(12)

Ainsi, plus de quatre siècles d'oppression n'altérèrent pas leurs moeurs de solidarité, et l'INDIVIDUALISME égoïste qui caractérise notre civilisation n'a pas réussi à les corrompre. 

Nos anciens historiens, même les mieux intentionnés, ne se privent pas de traiter les Indiens de "sauvages". Du point de vue même de notre conception de ce mot, sont tels des hommes qui vivent sans villes, sans routes reliant les villes entre-elles, sans lois, sans bâtiments publics, sans médecine. Pour nous faire une idée donc de ce qu'étaient les villes des Indiens, les mieux placés pour nous les décrire sont ceux qui les détruisirent. Voici l'opinion d'un des principaux destructeurs de joyaux d'architecture Indienne, Hernán Cortés 

Citation:

"Tlaxcala est si grande et tant digne d'admiration que le peu que j'en dirais est incroyable, parce qu'elle est beaucoup plus grande que Grenade, avec d'aussi bons édifices, et beaucoup plus peuplée que cette dernière l'était du temps où elle fut conquise. Mieux ravitaillée des choses du pays, avec un grand marché où trente mille âmes achètent et vendent, sans compter les petits marchands à travers la ville. Il y a des joailleries d'or, d'argent et des pierres précieuses, aussi bien conçues que sur les places et marchés du monde entier."(13)

Cortés de poursuivre plus loin : 

Citation:

"Il y a entre eux toute sorte d'ordre et de la police, justice et harmonie, autant que le mieux en Afrique ne les égale".

Il s'agit là de l'Afrique du Maghreb, d'un niveau de civilisation supérieur alors à celui de l'Europe elle-même. Quant à "l'ordre et police" qui régnaient chez ces "sauvages", Cortés poursuit : 

Citation:

"Un des indigènes de cette province vola de l'or à un Espagnol. Je l'ai dit à ce magiscatzin qui est le plus grand seigneur de tous. Ils firent une enquête, découvrirent le coupable et me l'amenèrent afin que je le punisse."(14)

Pas question naturellement de punir l'Espagnol qui avait volé cet or aux Indiens... 

Cette relation de Cortés sur l'ordre qui régnait chez les Aztèques à son arrivée(1519) mérite d'être comparée avec l'ordre qui régnait en Europe au XVIIme siècle. En France, par exemple, sous Louis XIII(1610-1643), Voltaire écrit que 

Citation:

"Les villes étaient sans police, les chemins impraticables et infestés de brigands."(15)

Pour Cortés, brigand lui-même, l'ordre qui régnait alors chez les "sauvages" Indiens dût lui paraître digne d'être mis en relief! 

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1/. Fray Bernardino de Sahagún, HISTORIA GENERAL DE LAS COSAS DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1946, tome I, page 12. 

2/. Michel de Montaigne, LES ESSAIS, Livre Second, Chapitre XII.

3/. Cité par Garcilaso de La Vega dans COMENTARIOS REALES, Livre II, Chapitre 27. 

4/. Motolinia, MEMORIALES, éditions UNAM, Mexico 1971, page 239. 

5/. Idem, page 255. 

6/. Idem, page 238. 

7/. Carli, LETTRES D'AMERIQUE, tome I, lettre 23. Cité par W.H.Prescott dans THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume III, page 105. 

8/. Richard Konetzke, FISCHER WELTGESCHICHTE, Band 22, page 16. 

9/. Ce calendrier fut appelé grégorien parce qu'il vit le jour sous le Papa Grégoire XIII et sous son impulsion. Cependant, l'auteur n'en était pas le pape, mais Lelio, un médecin italien originaire de Rome. La même injustice se produisit avec le calendrier "julien" attribué à Jules César, tandis que son véritable auteur était Sosigènes... 

10/. Rafael Girard, Introduction à LOS MAYAS ETERNOS, éditions Libremex, Mexico 1962, page VII. 

11/. Rafael Girard, ouvrage cité, page 474. 

12/. Idem, page 349.

13/. Hernán Cortés, CARTAS Y RELACIONES, éd.Emecé, Buenos Aires 1945, page 1333.

14/. Idem, p. 136. 

15/. Voltaire, Essai sur les moeurs, CLXXV. 

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