Raisonnement par paradigme, raisonnement par crainte et prise de désirs pour réalités, et trahison du pragmatisme

Raisonnement par paradigme, raisonnement par crainte et prise de désirs pour réalités, et trahison du pragmatisme

David Ray Griffin

La pratique répandue qui consiste à porter des jugements sur les thèses divergentes du 11 septembre sans examen des éléments de preuves pertinents n’est pas favorisée par la seule réflexion bâclée sur les théories du complot.

Deux tendances fortes de l’esprit humain y aident et y poussent, que l’on peut nommer “le raisonnement par paradigme” et “le raisonnement par crainte et prise de désirs pour des réalités”. Ces deux tendances tendent à subvertir le pragmatisme, compris ici comme la pratique qui consiste à bâtir ses conclusion sur le fondement d’éléments de preuve pertinents et pragmatiques.

Un paradigme, au sens le plus général du terme, popularisé grâce à Thomas Kuhn, est un concept général. Le terme a beau, utilisé ce sens, s’appliquer à un concept philosophico-scientifique, on peut aussi s’en servir en référence à un concept général de politique. Notre paradigme, ou principe général, oriente notre jugement vers ce qui est possible ou impossible, probable ou improbable. Dans la mesure où nous raisonnons par paradigmes, notre interprétation de nouvelles données pragmatiques sera largement déterminée par nos préjugés sur ce qui est possible et ce qui est probable. “Bien que notre véritable motivation soit le désir de vérité” comme il l’écrit ailleurs, “nous pouvons nous trouver si convaincus que notre cadre de référence actuel est la seule et unique voie vers la vérité, que l’ouverture d’esprit dans l’examen des preuves devient totalement impossible”. Nous avons beau nous considérer comme des penseurs pragmatiques qui jugent à la lumière des faits, notre raisonnement par paradigme subvertit notre pragmatisme.

En ce qui concerne le 11 septembre nombreux sont ceux qui pensent que le fait que l’administration Bush ait pu tuer délibérément des milliers de ses propres citoyens est en dehors des limites du possible. Ian Markham, l’un de mes collègues théologiens écrit dans une critique de mon premier livre sur le 11 septembre : “Lorsqu’un livre avance que le Président des Etats-Unis a pris part sciemment et délibérément au massacre de 3,000 citoyens américains, cela est irresponsable”. Lorsque j’ai fait remarquer à Markham que ce qui nous différencie semble guère reposer sur “des idées préconçues relatives à ce que le gouvernement des Etats-Unis et l’administration Bush, le Pentagone en particulier, feraient et ne feraient pas”, il m’a répondu : “Oui, je pars de l’a priori que Bush ne tuerai pas 3,000 citoyens [pour promouvoir un projet politique].”

Sur ce fondement, comme je l’ai démontré dans ma réponse écrite à la critique de Markham, il pouvait ignorer les preuves tangibles que c’est exactement ce qu’a fait l’administration Bush.

Incidemment, l’affirmation à priori de Markham reflète ce que l’on connaît sous le terme de “mythe de l’exception américaine” dont deux des principes sont, selon les mots de Bryan Sacks, que l’Amérique est “une puissance bienveillante qui ne projette sa puissance militaire que pour se défendre” et qui “n’entreprendrait jamais aucune action secrète contre ses propres citoyens”.

Sack souligne que le Rapport de la Commission d’enquête sur le 11 septembre est bâti sur les grandes lignes de ce mythe. Étant donné que ledit mythe est profondément ancré dans la psyché américaine, la majorité des Américains, y compris les gens de presse, étaient prédisposés à admettre le Rapport de la Commission sans le fouiller en détail.

Il est à coup sûr parfois nécessaire de poser des à priori. On ne peut pas perdre son temps à examiner les éléments de preuve relatifs à des hypothèses logiquement ou physiquement impossible. On peut également justifier le fait d’ignorer des hypothèses qui, bien que n’étant pas strictement impossibles, seraient hautement improbables. Mais il faut rester conscient de ce que nos estimations de probabilités sont faillibles et qu’il convient donc d’accepter dans les cas graves, de voir nos suppositions remises en cause par de nouvelles preuves.

Dans l’hypothèse largement répandue selon laquelle Bush  & Cheney n’ont pas sciemment causé la mort de milliers d’Américains pour se lancer dans leur programme politique, nous savons maintenant que cette administration a pris au moins deux décisions qui contredisent cette affirmation.

- D’abord, nous savons qu’elle a menti pour nous conduire à entrer en guerre contre l’Irak. Les notes de synthèse du 10, Downing Street, démontrent que “les renseignements et les indices matériels [à propos des armes de destruction massive en Irak] ont été manipulés pour cadrer avec la potilique [d’offensive contre l’Irak].”

- De la même façon, l’affirmation selon laquelle Saddam Hussein cherchait à se procurer de l’uranium en Afrique s’est avérée mensongère.

Les Américains qui sont morts en Irak à cause de ces mensonges sont maintenant plus nombreux que les morts du 11 septembre lui-même et on les a envoyés à la mort non pour défendre leur pays mais pour conduire le programme politique de l’administration Bush.

Source : David Ray Griffin, 11 septrembe : La faillite des média, une conspiration du silence, Collection Résistances, éditions Demi-Lune, p.30-32