Canoniser Las Casas ?

I. 5/. L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS :

d)Canoniser Las Casas ?

Le Prince des apôtres des Indiens fut Las Casas. L'historien mexicain Justo Sierra écrivit que les malheurs des Indiens 

Citation:

"ont été beaucoup atténués, et ainsi leur race fut sauvegardée. Cela se doit en premier lieu à Las Casas. Pourquoi ce chrétien sans reproche n'a pas d'autels dans les Eglises d'Amérique? Qu'importe? Il a un autel dans le coeur de chaque Américain."(1)

Par "Américain" il entend naturellement, Latino-Américain. 

Hélas, son Eglise ne l'a pas canonisé, mais les Indiens, aujourd'hui catholiques, l'ont fait à sa place. J'ai vu au Mexique, dans des huttes indiennes, dans l'État de Michoacán, fief même des pères franciscains, son image vénérée comme celle d'un saint. Par contre, à Séville, sa ville natale, les deux plus belles avenues (et elles sont superbes) sont dédiées à deux bandits de grands chemins, aux tueurs d'Indiens Cortés et Pizarro qu'il avait maudits. Pour le grand Andalous, pour l'homme qui honora l'Espagne et la chrétienté, on n'a disposé que d'un callejón à Séville, une ruelle de trois maisons d'un côté et quatre de l'autre. Aujourd'hui, avec le Boum touristique, on a enfin pensé à lui consacrer une plaque commémorative à l'entrée d'une Eglise; une initiative du ministère du tourisme sans doute. Par contre, au Mexique il n'y a pas de place à consacrer au coupeur de mains d'Indiens (de mains et de tètes) Hernán Cortés. Mais la statue du grand Las Casas honore le voisinage de la Cathédrale de Mexico, et les pieux catholiques mexicains réclament sa canonisation. 

A l'occasion du voyage du souverain pontife à Puebla, et durant sa visite à. Oaxaca, les peuples, ou plutôt les différentes nations indiennes, de cette région lui firent une réception chaleureuse. Ils étaient venus à plus de 400.000 Zapotèques pour lui souhaiter la bienvenue, recevoir sa bénédiction, et lui solliciter : 

Citation:

"Une inclination en faveur des pauvres, et la canonisation de Fray Bartolomé de Las Casas, qu'ils appèlent le premier défenseur des droits de l'homme en Amérique Latine et des Indiens."(2)

Il n'est pas nécessaire d'être chrétien pour s'incliner devant sa mémoire. Un homme qui avait fait de sa religion, au nom du Christ, un BOUCLIER au service des opprimés, pendant que d'autres en firent un instrument d'asservissement aux potentats. 

Dans son TRAITÉ SUR L'ESCLAVAGE, Las Casas s'adresse en ces termes au potentat d'un Empire sur lequel le soleil ne devait plus se coucher pendant trois siècles : 

Citation:

"Corollaire Premier, -Sa Majesté EST OBLIGÉ, de commandement divin, de faire mettre en liberté tous les Indiens que les Espagnols maintiennent en esclavage. 

Ce corollaire se justifie par trois raisons : la première parce que Sa Majesté EST OBLIGÉ par ordre divin(3) de rendre justice au petit comme au grand; et c'est particulièrement la fonction des rois de libérer des mains des calomniateurs et oppresseurs les hommes pauvres et méprisés, et affligés et opprimés, qui ne peuvent se défendre et échapper d'eux-mêmes; et si ceux-ci ne sont pas libérés, Dieu ne manquera pas de répandre sa colère et punir, et même détruire à cause de cela tout un royaume : parce qu'un des péchés que des Nuits et des Jours clament, et leurs clameurs arrivent jusqu'aux oreilles de Dieu, est l'oppression des pauvres, des défavorisés et des misérables; et les Indiens maintenus en esclavage par les Espagnols sont injustement opprimés et victimes de la force et de la violence de plus forts qu'eux."(4)

On croit entendre tonner le prophète Jérémie exigeant des rois de Juda de "délivrer l'opprimé des mains de l'oppresseur; ne pas user de violence ni répandre du sang..."(5). En fervent chrétien, Las Casas connaît aussi par coeur les paroles de son Christ : 

Citation:

"Retirez-vous de moi maudits..., car j'ai eu faim et vous ne m'avez pas donné à. manger; j ai eu soif et vous ne m'avez pas donné à boire...,j'étais malade et en prison et vous ne m'avez pas rendu visite...Je vous le dis en vérité, toutes les fois que vous n'avez pas fait ces choses à l'un des ces plus petits, c'est à moi que vous ne les avez pas faites."(6)

C'est à tous "ces plus petits" que Las Casas consacra sa longue vie, et il l'a fait sans compromis envers quiconque. Envers Colomb même, pour lequel il éprouvait de l'admiration (et de la sympathie à cause des injustices qu'on lui avait faites), il n'a jamais témoigné de compréhension pour ses méfaits envers les Indiens. Colomb voulant justifier sa criminelle mise en esclavage des Indiens par l'argument qu'il fallait vendre des esclaves pour couvrir les frais de l'expédition avancés par la Couronne, Las Casas se dresse de toute sa colère et gronde : 

Citation:

"Mais davantage devrait compter la loi de Jésus Christ que la disgrâce des rois; davantage l'amour de son prochain que l'envoi d'argent aux rois."(7)

Il y a malheureusement encore des Espagnols qui ne savent pas être fiers de Las Casas, l'homme que toute la chrétienté devrait leur envier. 

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1/. Justo Sierra, HISTORIA PATRIA, éd. S.E.P., Mexico 1922, page 50. 

2/. Cité par le journal mexicain UNOmasUNO du 29 janvier 1979. 

3/. Le bon côté de la médaille du "Prince de Droit Divin"... 

4/. Las Casas, DOCTRINA, éditions UNAM, Mexico 1951, page 127.

5/. Jérémie, XXII, 3-4 et 19. 

6/. St.Matthieu, XXV, 41-46. 

7/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome I, page 420. 

Web : basile-y.com 

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