Les Dix Plaies d'Égypte

II. 1/. LE DRAGON WISIGOTH EN AMÉRIQUE LATINE :

d)Les Dix Plaies d'Égypte.

C'est le religieux le plus dévoué à Cortés, Motolinia, qui appela tout cela "Apocalypse". En tant que religieux, il y voyait la "main de Dieu" et rendait Dieu ainsi complice des crimes des conquistadores ! Ces crimes étaient pour lui le fléau que Dieu envoyait pour fustiger les Indiens d'avoir cru à des "faux dieux" (avant l'arrivée du "vrai dieu" des conquistadores, le Veau d'Or ?). Il essayait de tout expliquer par la Bible et comparait ainsi la punition divine des Indiens avec les Dix Plaies d'Égypte. Les conquistadores devenaient ainsi des instruments de la colère divine pour flageller des pécheurs. On relève dans sa description d'une "CINQUIEME PLAIE", entre autres : 

Citation:

"comme les impositions se succédaient si rapidement qu'à peine avait-on payé un tribut, arrivait le suivant à payer. Pour y faire face ils vendaient leurs enfants. Et ceux qui ne payaient pas leur tribut étaient voués à la mort, soit par des tortures soit au moyen d'emprisonnements cruels, parce qu'ils les traitaient bestialement, on les tenait pour inférieurs aux bêtes."(1)

"SIXIEME PLAIE" : 

Citation:

"Les esclaves Indiens qui sont morts à ce jour dans les mines ne pourraient être comptés. Et l'or de cette terre fut un autre Veau d'Or comme Dieu ; ils firent le voyage depuis la Castille pour venir l'adorer..."(2)

Motolinia voulait ménager la chèvre et le chou mais finit par dire ici exactement la même chose que le "calomniateur de l'Espagne" Las Casas. Revenons aux Plaies d'Egypte

"HUITIEME PLAIE" : 

Citation:

"Le fer rouge ne coûtait pas cher. On posait sur ces visages tant de marques en plus du fer du roi, tant que toute la face en était écrite, puisque chaque acheteur posait ses initiales. C'est pour cela que cette huitième plaie ne valait pas mieux (que les autres)."(3)

Le fer rouge du roi avec lequel on marquait leurs faces a été dessiné par Bernal Diaz dans sa chronique (4) : . C'était une petite marque que le "fer de Sa Majesté", qui indiquait la qualité d'esclave en général, son destin sans retour. Chaque propriétaire d'esclaves (et qui ne l'était pas ?), une fois en possession de l'"objet" acheté - ils changeaient souvent de propriétaires - marquait sur la face de l'infortuné ses initiales, comme on faisait avec le cheptel. 

"NEUVIEME PLAIE" : 

Citation:

"La puanteur des esclaves morts dans les mines a causé une telle pestilence, surtout dans les mines de Oaxicán, qu'à une demi lieue à la ronde à peine pouvait-on marcher ailleurs que sur des cadavres. Et les corbeaux qui venaient s'y repaître étaient si nombreux qu'ils cachaient le soleil. C'est ainsi que se dépeuplèrent beaucoup de villages. D'autres Indiens fuyaient dans les montagnes, abandonnant leurs maisons et leurs biens."(5)

Las Casas n'avait donc ni exagéré "pathologiquement" ni "calomnié" l'Espagne, en écrivant comme le fait ci-haut Motolinia : 

Citation:

"ils fuyaient dans les montagnes, et je crois, s'ils le pouvaient, ils choisiraient l'Enfer le considérant un moindre mal que les Espagnols."(6)

Tous ces Colomb, Cortés, Pizarro avaient ceci de commun qu'ils étaient tous des truands, des aventuriers. Pedrarias était un vieux traîneur de sabre. Mais les hommes de la noblesse ne se comportèrent pas différemment (Don Vasco de Quiroga était un merle blanc !). En pensant au premier vice-roi envoyé par la Couronne au Mexique, Don Antonio de Mendoza, j'ouvre par curiosité l'encyclopédie espagnole Espasa-Calpe, et je lis ce qui suit : 

Citation:

"Militaire et noble Espagnol, nommé en 1535 premier Vice-roi en Nouvelle-Espagne. Fonda l'Université et différents collèges, établit l'imprimerie, encouragea et réglementa les travaux des mines, le commerce, l'agriculture, les lettres et les beaux-arts, il dicta des lois administratives sages et écrivit des oeuvres importantes".

Même en France, on lit dans le Petit Robert : "...il installa la première imprimerie et le premier collège d'Amérique". 

Alors, qu'Espasa-Calpe et les autres encyclopédies me permette de compléter ses informations par ce qui suit sur la "sage administration" de Don Antonio de Mendoza. Sous ses ordres directs et en sa présence : 

Citation:

"Après la capture de la Colline de Mixton, grand nombre d'Indiens faits prisonniers furent mis à mort en sa présence et sous ses ordres (de Mendoza). Quelques-uns furent placés en file et mis en pièces à coups de canon, d'autres furent déchiquetés par des chiens. D'autres étaient livrés à des Noirs pour être mis à mort, et ceux-ci les tuèrent à coup de couteaux pendant que d'autres étaient pendus. Ailleurs également des Indiens étaient jetés à des chiens en sa présence."(7)

On peut donc fonder Université et Collèges et en même temps faire déchiqueter des hommes par des chiens sauvages. Pour Espasa-Calpe Las Casas "fut parfois injuste envers l'Espagne". Sans doute pour avoir méprisé Mendoza. Il dédaigna les politesses que lui avait fait transmettre ce vice-roi par un de ses courtisans, "parce qu'il le tenait pour excommunié" à cause de ses crimes envers les Indiens. Las Casas n'absout pas Mendoza de son péché d'exterminateur d'Indiens, et Mendoza se vengea en faisant détruire un des ouvrages de Las Casas intitulé CONFESIONARIO. 

Ce noble bâtisseur d'Université et Tueur d'Indiens à la fois, nous rappelle un autre Mendoza, prénommé Garcia-Hurtado. Un jeune loup qui ne pensa même pas à créer d'Université. Arrivant au Chili en 1557, le légendaire Indien Araucán Caupolicán lui rend la vie dure contre son oeuvre de "pacification". Finalement, la poudre, les chiens, les "Centaures" (les cavaliers tels que les Indiens les percevaient), les lances d'aciers, les lourdes épées et les trahisons de la parole donnée eurent raison des bâtons et des flèches des admirables Araucáns. Pour nos encyclopédies, il était nécessaire de les "pacifier" et Caupolicán était le "Rebelle", le "séditieux" de Voltaire, que des "esforzados varones" (hommes persévérants) (comme on les appelle dans les manuels scolaires espagnols) ont "dompté" en lui couper les mains avant de le tuer. 

Citation:

Il y a eu un autre tueur d'Indiens au Chili, le célèbre Valdivia. Pablo Neruda évoque : 

"Alors Valdivia le bourreau coupa les mains du cacique 

Renvoya les prisonniers avec leurs nez et oreilles coupés 

Valdivia taille ma terre avec son épée : ce morceau pour toi 

Valdés ; cet autre à toi Montero ; celui-ci à toi Inés"(8)

Les Araucáns firent en fin de compte justice de Valdivia. Mais les encyclopédies en donnent une version mensongère : 

Citation:

"...en combattant contre des insurgés araucáns, il fut dérouté, et, fait prisonnier, on lui coupa les bras que les Indiens mangèrent en sa présence, vivant encore pendant trois jours entre des tortures féroces et d'horribles souffrances."

Les Araucáns ne commirent pas d'actes de sadisme. Ils le tuèrent à coup de massue, ils n'avaient pas d'autres armes. LA ARAUCANA de Alonso de Ercilla témoigne et se range du côté des Indiens. On y trouve un démenti catégorique et sans équivoque des mensonges sur la mort de Valdivia, écrit par un homme qui l'a vécue sur place en acteur. Ercilla fit la guerre aux Araucáns, prenant part à sept batailles de "pacification", durant lesquelles le conquistador finit par être sensibilisé par les Indiens. Se battant le jour et composait son ARAUCANA la nuit disent ses biographes. Dans son oeuvre il est bien question de cruautés et de tortures, mais de celles commises exclusivement par les conquistadores envers des chefs Araucáns tels que Caupolicán et Galvarino. Le premier empalé et fléché, le deuxième les mains coupées, et tous deux morts bravement en méprisant leurs bourreaux de façon ostentatoire, tandis que Valdivia, comme écrit Ercilla : "humble et obéissant demanda qu'on ne le tue pas". Les Araucáns le tuèrent, écrit Ercilla, "avec une masse de genévrier en visant bien la tête". Ils ne voulaient pas le faire souffrir, ils étaient humains. 

C'est ainsi lâchement qu'il était mort Valdivia, et pas en lui coupant les bras pour les manger devant lui durant trois jours. L'auteur de l'article mensonger n'a même pas pensé à nous révéler l'hémostatique utilisé par les Araucáns pour le maintenir en vie durant trois jours, après lui avoir coupé les deux bras... pour les manger ! 

Les titres donnés par Ercilla aux Chants de son épopée sont évocateurs ! Chant III : "muerte de Valdivia", il est mort. Chant XIV : "suplicio de Galvarino", Chant XVIII : "suplicio de Caupolicán". Suppliciés tous les deux !!! Les "barbares" Indiens tuent l'ennemi, les "civilisés" le supplicient ! C'est un conquistador qui l'affirme ! 

Des historiens, se pâment d'admiration sur la personnalité de Valdivia. Il avait disent-ils du talent pour la "mise en valeur" de la Colonie, comme on appelle les rapines colonialistes. La mise en valeur de terres qu'il avait conquises en assassinant femmes et enfants, en mettant le feu à leurs récoltes pour les "avoir" par la faim, comme on a lu au paragraphe "Les bases 'légales' du génocide" dans le rapport du Juge à l'Audience de Lima Fernando de Santillán. 

Les manuels scolaires chiliens honorent Valdivia comme un "père de la Patrie". Le vrai héros national du Chili fut cependant l'Araucán Lautaro, le justicier de Valdivia. C'est encore Pablo Neruda qui l'honore en écrivant : 

Citation:

"Lautaro était une fine flèche 

Souple et bleu fut notre père"(9).

Les Araucáns n'étaient pas les douces brebis des Antilles exterminés en une génération. Ils étaient magnifiques comme les Seminoles, les Cheyennes, les Sioux. Les Espagnols ont dû mettre trois siècles pour en venir à bout. Comme ils étaient trop fiers pour se soumettre, les manuels scolaires les traitent de "sauvages". Sauvage Lautaro ? Garçon d'écurie de Valdivia, digne fils de son peuple araucán, il s'évade - il ne voulait pas que le collier marque son cou comme celui du chien à La Fontaine - pour aller trouver ses frères Mapuches, les enflammer pour une guerre contre les coupeurs de mains, de nez et d'oreilles, contre les incendiaires de récoltes et profanateurs de Temples. Il leur dit : "Les chrétiens ne sont pas des dieux, Valdivia est un homme comme nous". Comme on a lu dans un paragraphe précédant, les Indiens avaient pris les conquistadores pour des dieux. Lautaro organise alors la guerre par vagues successives, il entraîne les conquistadores à livrer bataille sur un terrain défavorable pour la cavalerie, les harcèle, épuise leurs chevaux, et, quoique armés que de massues et de flèches, les Araucáns sont victorieux. "Alors Valdivia", comme dit Neruda, alors du bourreau on fit justice. Valdivia est mort au XVIme siècle, mais on l'honore toujours au Chili. Toute une province et une ville du Chili portent aujourd'hui le nom de Valdivia. 

A l'inverse du Chili, ce n'est pas au Mexique qu'on rencontrerait le moindre hommage à la mémoire de son compère Hernán Cortés, qui y est toujours abhorré. On peut comparer les manuels scolaires des deux pays. A Mexico, tous les ans les Indiens dansent en costumes folkloriques autour de la statue de Guahutemoc, le chef Indien assassiné traîtreusement (voir paragraphe "Les atrocités") par Cortés. De même, à Tlaxcala on commémore tous les ans l'assassinat par le même Cortés du Prince tlaxcaltèque Xicotengal. En outre, pour commémorer en 1823 l'anniversaire de leur Indépendance, des patriotes mexicains avaient projeté d'aller chercher les cendres de Cortés dans sa tombe, pour les faire voler aux quatre vents. De ses descendants mis au courant les prirent de vitesse et allèrent la nuit les enlever en même temps que les armes avec lesquelles il coupait les mains et les têtes des Indiens. Ils les apportèrent secrètement à son descendant à Palerme, le Duc de Monteleone (10). 

Au Chili, ni Lautaro, ni Caupolicán sont honorés dans les grandes villes. Mais Neruda les immortalisa et les Mapuches survivants ne les oublient pas. 

A l'inverse du Chili, les Indiens du Mexique gardent leur personnalité, fiers de leur IDENTITE, ils imposent le respect de l'Indio, même quand ils ne sont pas de "puros Indios". Ils sont comme le héros du roman de Sinclair Lewis "Kingsblood Royal", qui, découvrant juste un peu de sang noir dans ses veines était fier d'être Noir même si sa peau restait blanche. Il faut dire ici qu'au Mexique ce ne furent pas des Européens nés dans les colonies comme Bolivar ou O'Higgins qui levèrent le drapeau de l'Indépendance, mais deux prêtres mestizos. Les hommes politiques du Mexique sont obligés d'en tenir compte et de respecter les Indios. 

Les Indiens sont attachés à leur identité. Pourtant, que n'avait pas fait l'évêque de Yucatán, Diego de Landa, pour les "endoctriner" avec son sanbenito ? Infirmant la règle qui régnait chez les réguliers, celle de la défense des Indiens, de Landa, aveuglé par le fanatisme, se comporta en persécuteur. Il mena l'Inquisition avec une rage aveugle, pour obliger les Indiens à se convertir par la terreur. L'historien jésuite Père Mariano Cuevas écrit de lui qu'il était "impétueux et irréfléchi, passions qui le conduisirent à des mesures atroces et imprudentes"(11). 

Le Révérend Père avait bien mesuré son langage. Sebastian Vasquez est plus précis encore dans sa lettre à Philippe II, datée du 25 mars 1565, lorsqu'il écrit que 

Citation:

"le nombre des torturés et pendus s'élevait à 4.549 personnes, dont 84 hommes et femmes furent coiffés du sanbenito."(12)

Ce fut l'"endoctrinement" de Diego de Landa, et : 

Citation:

"Ce n'est pas sans amertume que l'évêque Francisco de Toral, franciscain comme lui, mais avec une meilleure vision de la réalité, écrit à Philippe Il : 'J'ai dit tout cela à Votre Majesté, afin qu'elle sache qu'au lieu de doctrine les Indiens subirent ces misérables tourments, et au lieu de leur faire connaître Dieu on les a fait désespérer. Et ce qui est pire et que l'on soutient, est que sans supplice on ne peut prêcher la loi de Dieu.'"(13)

Le Dragon Wisigoth en Amérique Latine fut tel que nous venons de voir. Le rappeler serait de l'anachronisme s'il n'y avait encore du racisme dans le monde et si le cas du génocide des Amérindiens était moins exemplaire. 

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1/. Motolinia, HISTORIA DE LOS INDIOS, éditions Gili, Barcelone 1914, page 17. 

2/. Idem, page 17. 

3/. Idem, page 18. 

4/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1955, page 319. 

5/. Motolinia, HISTORIA DE LOS INDIOS, éditions Gili, Barcelone 1914, page 19. 

6/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome III, page 24. 

7/. Arthur S. Aiton, THE SECRET VISITA AGAINST VICEROI MENDOZA, cité par Lewis HANKE dans BARTOLOMÉ DE LAS CASAS, La Haye 1951, page 58. 

8/. Pablo Neruda, CANTO GENERAL, Sección III, Chant XXI. 

9/. Idem, Sección I, Chant IV. 

10/. William H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume VI, page 457. 

11/. Mariano Cuevas, HISTORIA DE LA IGLESIA DE MÉXICO, Editorial El Paso, Mexico 1928, tome II, page 88. 

12/. Biblioteca Nacional de México, Sección de Manuscritos I, Volume 15 - 4-160. 

13/. A. Garibay, Introduction à RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN de Diego de Landa, editorial Porua, Mexico 1959, page XII. 

Web : basile-y.com 

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