Agriculture et justice sociale

I. 1/. LES AMÉRINDIENS PRÉCOLOMBIENS :

d)Agriculture et justice sociale.

Il y avait quelques chose d'endémique dans l'Europe de Colomb que les "sauvages Indiens" ne connaissaient pas : la Famine! Ce fut là un des principaux apports dont nous les avons accablés, fléau familier en Europe alors, mais inconnu là-bas. Cependant il faudrait bien souligner ici que ces "sauvages" mangeaient pour vivre et ne vivaient pour manger comme nous faisons parfois. Comme écrivait Las Casas : 

Citation:

"Un Espagnol mange en un jour plus qu'un Indien pendant un mois", et qu'il "semblait aux indiens que ces gens-là (les conquistadores) sont venus au monde rien que pour manger."(1)

Les Indiens "primitifs" étaient heureux et satisfaits de ce dont la Nature les avait comblés, sans autre mal que celui de cueillir, pêcher ou chasser. Quant aux Indiens organisés en grands empires comme les Incas : 

Citation:

"Les greniers publics regorgeaient de vivres et les fonctionnaires étaient chargés de pourvoir à la subsistance de leurs administrés."(2)

Citation:

"Une responsabilité très lourde stimulait le zèle des fonctionnaires : si un Indien avait volé par malice ou paresse, il était puni; s'il avait agi sous l'empire de la nécessité, c'est son chef hiérarchique qui était châtié."(3)

Citation:

"Quand un homme était réduit à la mendicité par pauvreté ou par malchance, le bras de la loi s'étendait sur lui pour lui porter assistance. Pas l'assistance qui se borne à la charité privée, ni celle répartie goûte à goûte, comme c'était le cas en Europe, par les réservoirs glaciaux de la paroisse, mais généreusement, sans être accompagnée d'humiliation, et plaçant le bénéficiaire sur un niveau égal à celui de ses compatriotes."(4)

Qui aurait en ces temps, en Europe, rêvé d'une pension de retraite pour tous? Chez les "sauvages" du Pérou, 

Citation:

"au dessus de 60 ans, le vieillard était susceptible de donner des conseils seulement."(5)

De même chez les Mayas, l'entraide sociale régnait partout avant l'arrivée de Diego de Landa, qui avoue que 

Citation:

"C'était la coutume de chercher dans les villes les infirmes et les aveugles pour leur donner le nécessaire."(6)

A la même époque, pendant laquelle la présomptueuse Europe se mit à exporter sa civilisation, on vivait chez-elle devant ce lamentable spectacle de

Citation:

"certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs, livides et tout brûlés de soleil, attachés à la terre qu'ils fouillent et qu'ils remuent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ils sont des hommes; ils se retirent la nuit dans des tanières où ils vivent de pain noir, d'eau et de racines; ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre, et méritent ainsi de ne pas manquer du pain qu'ils ont semé."(7)

Et ils en manquaient! La bruyère écrivait cela vers la fin du 17ème siècle. Au siècle suivant, en janvier 1772, dans une lettre à Joshua Babcock, Benjamin Franklin le confirmait en décrivant comme suit la vie des paysans d'Irlande et d'Ecosse : 

Citation:

"Dans ces contrées il y a un petit nombre d'hommes qui sont propriétaires, nobles, gentlemen; leur opulence est extrême; ils vivent dans l'abondance et la magnificence. La masse du peuple est composée de tenanciers, extrêmement pauvres, qui vivent dans une misère sordide, couchent dans des tanières de boue et de paille, et ne sont vêtus que de haillons ... 

Je vous assure que, pour la jouissance et le bien être de la vie, tout Indien comparé à ces pauvres gens est un gentleman."

"les greniers publics regorgeaient de vivres" écrivait Louis Boudin tout en traitant les Indiens de "sauvages". Ces vivres n'étaient cependant pas de la manne tombée du ciel. Ils étaient le résultat d'une organisation réfléchie de l'économie agricole au service de tous, une économie DETRUITE délibérément par nos barbares Européens dès leur arrivée : 

Citation:

"La FAIM fut une des plus grandes calamités qui flagellèrent les Indiens(8) au commencement de la conquista. Elle fut causée par la méthode des conquistadores qui consistait à raser leurs fermes et leurs terres ensemencées pour les obliger à se soumettre."(9)

Contemporain de la Conquista et de la famine qu'elle importa d'Europe, le père franciscain Motolinia, dans son catalogue des "Dix Plaies" (comme celles d'Egypte) que "Dieu" aurait envoyé aux Indiens pour les punir d'avoir adoré des "faux dieux", range la Faim en troisième place : 

Citation:

"La troisième plaie fut une grande faim qui suivit la conquête du Mexique"(10).

Ce n'est cependant pas Dieu qui leur envoya la famine. Un père n'affame pas ses enfants! Ils n'avaient pas faim avant l'arrivée de Colomb, car ils vivaient au sein de civilisations qui savaient obtenir deux récoltes par an, dans un pays où la pluie était un phénomène rarissime. 

"J'ai déjà dit", écrit Pedro Cieza, 

Citation:

"qu'il ne pleut pas chez eux, et que leur eau provient d'irrigations. En ces vallées les Indiens sèment du maïs et obtiennent deux récoltes par an et en abondance."(11)

Citation:

"Cette vallée de Toumbez se trouvait être très peuplée et labourée, pleine de frais et jolis canaux avec lesquels ils irriguaient tout ce qu'ils voulaient, et obtenaient beaucoup de maïs et autres choses nécessaires à la subsistance des hommes, ainsi que de beaux et très savoureux fruits."(12)

"Par un judicieux système de canaux et aqueducs souterrains," écrit Prescott, "les désertiques espaces de la côte étaient rafraîchis par de copieux courants qui les paraient de fertilité."(13) 

Citation:

"Sous la zone torride il fallait de l'irrigation. Ils l'obtenaient avec grands soins, et ne semaient pas du maïs sans irrigation. Ils ouvraient aussi des canaux pour arroser des pâturages quand l'automne retenait ses eaux. Car ils voulaient aussi bien prendre soins de leurs pâturages que de leurs semailles parce qu'ils avaient beaucoup de bétail."(14)

Les canaux d'irrigation mentionnés ci haut furent admirés par tous les chroniqueurs de l'époque, et récemment Victor Von Haagen, archéologue nord-américain les résume tous en quelques mots : 

Citation:

"Les ingénieurs des Incas domptaient les impétueux cours d'eau jaillis des glaciers, et les canalisaient très attentivement dans leur descente vers les vallées, pour arroser des champs, quoique séparés de leur point de départ par de longues distances. Cette technique aidait les Incas à contrôler la densité de la population et donner au corps social un équilibre méticuleux entre population et productivité."(15)

C'est pour cela que les Indiens ne souffraient jamais de faim. 

Citation:

"La famine, un fléau si connu alors dans chaque pays de l'Europe civilisée, était un mal inconnu dans les dominions des Incas"(16),écrit Prescott.

Cette absence de famine avait certainement contribué pour sa part au règne de la Moralité chez les Incas.D'après Carli : "Sans doute l'homme du Pérou estoit infiniment plus perfectionné que l'Européen"(17).

Il l'était aussi parce qu'il y régnait une Justice au sujet de laquelle Motolinia écrit pour le Mexique que 

Citation:

"Si dans un procès un juge favorisait un personnage haut placé au préjudice d'un homme du peuple, le seigneur, en apprenant la vérité, faisait pendre le juge et rendre la sentence en faveur du plébéien."(18)

C'est sans doute à force de vivre dans cette ambiance que, si la première surprise des Indiens à l'arrivée des Cortés et Pizarro fut celle d'avoir eu à subir leur cruauté, la deuxième fut celle de les voir se voler les uns les autres. 

S'il y a donc aujourd'hui des Indiens qui volent, il faut croire qu'ils furent de bons élèves. A propos de "Morale", c'est le MEA CULPA de remords que fit un conquistador sur son lit de mort qui est impressionnant. Mancio Sierra Leguisano, dans une relation-testament envoyée à Philippe II, lui écrivait entre autres : 

Citation:

"Il faut que Sa Majesté Catholique le sache, nous avons trouve ces contrées dans une situation telle, qu'il n'y avait ni un voleur, ni un homme vicieux; et je voudrais que Sa Majesté Catholique comprenne pourquoi je rédige cette relation. C'est pour décharger ma conscience et me connaître coupable, car nous avons transformé ces individus qui avaient tant de sagesse et commettaient si peu de délits et d'extravagances, que le possesseur de cent mille pesos d'or et d'argent laissait sa porte ouverte en fixant un balai ou un petit morceau de bois en travers de la porte pour indiquer qu'il etait absent : ce signe conforme à la coutume suffisait pour éviter que quelqu'un m'entrât et ne prit quelque chose. Ainsi nous méprisèrent-ils quand ils virent parmi nous des voleurs."(19)

En effet, quelle ne fut la surprise des Indiens quand ils virent les conquistadores commencer à mettre des serrures à leurs portes. C'était là un gadget inconnu chez les sauvages avant l'arrivée de nos barbares Européens. Malgré cela, d'après nos pundits anciens, l'Europe fut porteuse de civilisation au Nouveau Monde, quand en réalité elle n'y porta que des vices, des maladies, la Faim, et... des serrures! 

BASILE Y.

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1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome I, page 398. 

2/. Louis Baudin, LES INCAS DU PEROU, éd. Médicis, Paris 1947, page 111. 

3/. Idem, page 128.

4/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, Vol V, page 57. 

5/. Louis Baudin, LA VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS, Hachette 1955, p. 12. 

6/. Fray Diego de Landa, RELACIÓN DE LAS COSAS DE YUCATÁN, Editions Porua, Mexico 1959, page 14. 

7/. La Bruyère, LES CARACTERES. 

8/. Il s'agit ici des Indiens du Chili, pas des Peaux-Rouges de Benjamin Franklin. 

9/. Fr. Valenzuele, HISTORIA DE CHILE, Santiago du Chili 1960, page 130. 

10/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 25. 

11/. Pedro Cieza de León, LA CRONICA DEL PERÚ, Buenos Aires 1945, page 293.

12/. Idem, page 179. 

13/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896, volume V, page 5. 

14/. Garcilaso de La Vega, COMENTARIOS REALES, page 325. 

15/. Victor von Haagen, THE REALM OF THE INCAS, éd. New American Library, New York 1961, page 66. 

16/. W.H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, Londres 1896,volume V, page 159.

17/. Idem, page 160. 

18/. Motolinia, MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 354. 

19/. Louis Baudin, LA VIE QUOTIDIENNE AUX TEMPS DES DERNIERS INCAS, Hachette 1955, pages 132-134.

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