Les atrocités

II. 1/. LE DRAGON WISIGOTH EN AMÉRIQUE LATINE :

c)Les atrocités.

Mais que pourrait-on reprocher à l'analphabète Pizarro ? A cet homme qui, après tout, n'était qu'un porcher dans son pays : Pablo Neruda l'appelle le "Porc d'Estramadura". Que pourrait-on lui reprocher à part avoir pris pour modèle l'homme le plus prestigieux de son temps : Christophe Colomb ? C'est le propre fils de Colomb, Hernando Colón, son biographe, qui écrit au sujet de son père, avec orgueil : 

Citation:

"D'un côté avec des chevaux, de l'autre avec des lévriers, ils donnèrent l'assaut, tuant et faisant tant de massacres, qu'en peu de temps il y eut la victoire, au service de Dieu, avec un grand nombre de prisonniers et d'exterminés."

Las Casas qui cite cet acte de bravoure "au service de Dieu" le commente par ces mots : "une si exécrable injustice n'était certainement pas au service de Dieu ". Ce commentaire valut à Las Casas l'épithète de "paranoïaque". Il s'agissait dans le cas glorifié par le fils de Colomb d'un assaut de 200 conquistadores (1) armés jusqu'aux dents avec des armes à feu et de lourdes épées qui fendaient un Indien en deux, et des lévriers sauvages qui les déchiquetaient. C'était un assaut contre des milliers d'infortunés, "hommes femmes et enfants", armés de bâtons et de flèches, et dont "pas même un pour cent ont pu échapper" écrit Las Casas. 

Quand on était fatigué de tuer à la chasse à l'homme, on commençait le pasatiempo (passe-temps). On passait son temps en tournois pour voir qui fendait le mieux un Indien en deux, d'un seul coup d'épée, ou en concours de la mise à mort à l'arbalète (2). Un autre pasatiempo nous est rapporté par un autre ecclésiastique espagnol, le Vicaire Morales, qui écrit : 

Citation:

"Il y a des Espagnols qui dressent des chiens carnassiers pour les habituer à tuer des Indiens. Ils font cela parfois comme pasatiempo pour voir si les chiens si prennent bien."(3)

Les chiens et les chevaux des conquistadores furent de véritables Dragons d'Apocalypse pour les Indiens. Ces derniers n'avaient jamais vu de chevaux et voyaient soudain arriver chez eux ces bêtes qui étaient pour eux des monstres. En effet, les conquistadores qui les montaient armés de longues épées et de lances, faisaient dans la multitude des corps nus et sans défense d'autant plus de ravages que les chevaux rendaient leur fuite impossible, ils étaient toujours rattrapés. Les chiens n'étaient pas pour eux des animaux inconnus, mais ceux des conquistadores étaient des lévriers dressés à être sauvages et friands de chair d'Indiens. Le chien, le plus docile et servile des animaux, est comme les langues d'Esope. Il peut être un gentil compagnon pour l'homme si on ne le dresse pas à être sauvage, comme il peut devenir tigre une fois dressé dans ce but par l'homme. Il ne suffit donc pas aux conquistadores d'être cruels, il leur fallut, de surcroît, dresser des chiens à leur image. Ces lévriers que les conquistadores appelaient fièrement "perros bravos" (chiens sauvages) devenaient épouvantables quand ils entendaient "Tomalo" (attrape-le). Ils sautaient alors sur les Indiens, comme des tigres. 

Quand ces chiens ne leur servaient pas à la chasse à l'Indien, c'était les Indiens qui leur servaient de pâture : 

Citation:

"...que ceux qui sont de vrais chrétiens sachent ce qu'on n'a jamais entendu en ce monde. Pour nourrir leurs chiens, ils mènent des Indiens enchaînés en fil durant leur chemin, qui vont comme s'ils étaient un troupeau de porcs. Ils les tuent et tiennent une boucherie ambulante de viande humaine, en se disant les uns aux autres : 'prête-moi un quart de ce coquin pour donner à manger à mes chiens jusqu'à ce que j'en tue un moi-même', comme s'il s'agissait d'un quart de mouton ou de porc. Toutes ces choses diaboliques viennent d'être prouvées maintenant en des procès que se sont fait entre eux-mêmes quelques tyrans. Que peut-il y avoir de plus sauvage !"(4)

On a lu au pargraphe "Las Casas dénonce le génocide amérindien" comment ceci fut confirmé, de façon atténuée par la pudeur, dans la chronique de Pedro Cieza de León. Mais les chiens ne leur servirent pas seulement à dévorer des Indiens. Il leur est arrivé même une fois de régaler les palais des conquistadores. Dans une expédition vers l'Amazone dirigée par Gonzalo Pizarro, frère de Francisco, on avait amené un millier de chiens dévoreurs d'Indiens. Perdus dans la Jungle, et sans Indiens à se mettre sous la dent, ils tuèrent les chiens dévoreurs d'Indiens, pour les dévorer eux-mêmes(5). Dans un autre cas semblable, au Nord de l'Amérique du Sud, ils épargnèrent leurs chiens car ils préférèrent la chair d'Indiens. En effet, quand des "Wisigoths" (qualificatif justifié au paragraphe "Origine et moeurs des conquistadores") fraternisent avec des "Teutons" (qualificatif pour les conquistadores allemands, par analogie), voici ce qu'il arrive : Durant une expédition du fameux chasseur d'hommes allemand Dalfinger et sa bande composée d'Allemands et d'Espagnols fraternellement unis, égarés dans la forêt au cours d'une de leurs chasse à l'homme et pillages pour le compte de la Maison WELSER de Augsbourg, 

"pressés par la faim, ils tuèrent les Indiens qui les accompagnaient, pour les manger. A la suite de cela ils prirent peur les uns des autres et se dispersèrent"(6).

La Maison WELSER de Augsbourg faisait "christianiser" les Indiens en ces lieux, en vertu d'une concession achetée à Charles Quint. 

Mais revenons à nos "Wisigoths" sans "Teutons". Au Nord de l'Amérique du Sud, sur les terres qui forment aujourd'hui les Républiques de Venezuela, Colombie et Panama, les Indiens, qui n'étaient pas des "douces brebis" comme ceux des îles, leur donnèrent du fil à retordre. Cependant, avec un Tueur qui s'était déjà fait la main de longue carrière contre l'Infidèle comme Pedrarias - celui qui fit couper la tête au père de ses petits enfants - on les "pacifia". Les hommes de Pedrarias allèrent même jusqu'à "plonger leurs épées dans le ventre de 70 à 80 femmes et jeunes filles prises à la chasse à l'homme"(7). Au Mexique, en plus du massacres du menu peuple, une Boucherie de la Noblesse Aztèque fut commise pour voler leurs bijoux. Cette boucherie coûta d'ailleurs la fameuse Noche Triste (triste nuit) au conquistadores : ils furent chassés de Mexico en y laissant des frères d'armes sacrifiés sur les autels du dieu de la guerre Huitchilopotchtli ! Il y en eut même qui se noyèrent dans la Lagune, enfoncés sous le poids des barres en or et autres butins qu'ils ne voulaient pas lâcher, sans compter ceux qui moururent au combat contre les valeureux Aztèques. 

Cette "Triste Nuit" fut provoquée par la félonie du principal lieutenant de Cortés, Pedro Alvararo. "Son seul mobile fut l'avidité" écrit l'historien mexicain Alfonso Toro (8). C'était le 20 mai 1520. Ce jour-là les Mexicains fêtaient leurs Pâques Texcatl. Toute la noblesse était réunie au Grand Temple consacré au dieu Texcatlipoca, parée de ses plus précieux joyaux : une vraie provocation au meurtre pour des Chevaliers-du-Vol-à-Main-Armée. Une fois le Temple plein, Alvarado fit poster des hommes armés devant toutes les issues et les hijos de algo ("fils de quelque chose", qui donna par contraction Hidalgo, noble espagnol) partirent à l'assaut en tuant la noblesse comme des lapins pour s'emparer de leurs bijoux. Le prétexte évoqué fut que leurs victimes s'étaient réunies pour préparer un complot. Cette boucherie est mentionnée dans les manuels scolaires d'Histoire au Mexique sous le titre de MATANZA DEL TEMPLO MAYOR, Boucherie du Grand Temple. Une cinquantaine de conquistadores payèrent leur avidité sacrifiés ; leur avidité et la félonie d'Alvarado. Mais le félon échappa au châtiment... 

Le "complot", l'éternel mensonge-institution de la Conquista. Les conquistadores étaient partout en "légitime défense" sur les terres d'autrui. C'était par fidélité à la tradition de l'Inquisition que "Devant une foule nombreuse s'élevaient des Bûchers. Et cependant que les sentenciés mouraient dans des souffrances indescriptibles..."(9). Les sentenciés étaient des guerriers aztèques qui avaient tué au combat trois soldats espagnols et leur capitaine Escalante. Ils menaient là une guerre juste. Pourtant, Bernal Díaz fier de Cortés, qualifie l'holocauste des quatre capitaines de Moctezuma et de leur chef Quetzalpopoca de "justicier". Dans trois passages différents de son ouvrage il répète l'évènement avec éloges pour l'"oeuvre de justice" de Cortés, inspiré par Dieu ; plein de lyrisme, il écrit : 

Citation:

"Nombreuses fois, maintenant que je suis vieux, je m'arrête à considérer les choses héroïques que nous avons vécues en ces temps. Il me semble les voir aujourd'hui, et je dis que nos actions nous ne les accomplissions pas nous, mais elles étaient tracées par Dieu."(10)

C'est Dieu qui traçait leurs actions, comme Odin, accompagné des Hugin et de Munin traçait les actions des Wisigoths avant le christianisme. Il faut dire aussi que les Bûchers étaient encore une distraction de plus pour les conquistadores, un pasatiempo comme le "tomalo" des chiens et les Tournois où l'on cherchait qui fendrait le mieux un Indien en deux d'un seul coup d'épée. Nous avons vu au paragraphe "Las Casas d'abord conquistador" l'indignation de Las Casas contre ceux qui ont mis sur le Bûcher le cacique Hatuey comme "Rebelle à Sa Majesté". Un Peu avant d'allumer ce Bûcher, un prêtre se présenta à lui, lui proposant de le baptiser in extremis pour lui épargner l'Enfer. Hatuey lui répond en lui demandant si dans cet Enfer il y avait aussi des chrétiens. Sur la négative de l'aumônier, il lui dit alors qu'il préférerait aller en Enfer pour s'épargner la promiscuité des chrétiens. Las Casas nous rapporte un autre cas de déformation du christianisme. 

Il s'agissait d'un encomendero nommé SALVADOR. Salvador veut dire en Espagnol SAUVEUR, c'est à dire le Christ. Un jour 

Citation:

"un moine franciscain, prêchant aux Indiens qui appartenaient à ce Salvador comment Dieu était le Salvador du Monde, et qu'il était bon et faisait du bien aux hommes, ceux-ci commencèrent à cracher et blasphémer de Salvador, disant qu'il n'était qu'un méchant et cruel qui les affligeait et les tuait, croyant que le religieux était en train de louer ce pécheur de Salvador."(11)

Naturellement il s'agit là de rustres, de petits encomenderos, des analphabètes en général. Cortés cependant n'était ni l'un ni l'autre. D'une intelligence supérieure, ses trahisons, fourberies, perfidies et bigoteries de faux-dévot n'étaient que plus abominables. Il ne recula ni devant le poison ou le poignard pour se débarrasser d'adversaires de son acabit (voir paragraphe "Combats fratricides"), ni devant des exécutions sommaires de quiconque le gênait. Il empoisonna sa femme Catalina Juarez (la Marcaida) pour enterrer son passé de truand - il voulait entrer dans le "beau monde" qui était maintenant à ses pieds. Il effaça de la face du Monde tous ceux qui eurent le malheur de se trouver au travers de son chemin. Comment un tel homme aurait-il pu se comporter différemment envers les Indiens alors que lui et ses semblables les tenaient pour des "animaux à langage articulé" selon les théories de Sepúlveda ? Il fit "chauffer" (en les badigeonnant à l'huile) les pieds de Guahutemoc, dernier Tlatoani des Aztèques, pour lui extorquer l'aveu sur la cache du trésor de la Confédération, et finit par le faire pendre comme "traître à Sa Majesté" après lui avoir promis la vie sauve. Il fit traîtreusement exécuter Xicotengal El Mozo, le fils du roi de Tlaxcala, son allié, sans lequel lui et tous ses compagnons auraient fini sacrifiés sur les autels des Pyramides après la Noche Triste. Son Entrada (voir paragraphe "Origine et moeurs") à la Gran Tenotchtitlán (Mexico) lui rapporta plus de trois tonnes d'or rien que des objets d'Art qu'il fit fondre, sans compter l'argent, les pierres précieuses et les perles. Bernal Díaz pensait à propos de ce butin qu'"il n'y avait certainement pas dans le Monde de si grandes richesses"(12). Il s'agissait là pourtant que d'un butin qui précédait d'une dizaine d'années celui bien supérieur pris par Pizarro au Pérou. 

Le butin de Cortés au Mexique lui valut la Noche Triste et le sacrifice d'"hommes blancs barbus" sur les autels de Huitchilopotchtli, Les Aztèques cherchaient moins à tuer qu'à faire des prisonniers pour offrir à leurs dieux (13). Ce n'étaient pas de belliqueux voleurs d'or, comme les conquistadores, mais des serviteurs de leurs dieux. Comme écrit le Père Motolinia, 

Citation:

"la valeur combattante d'un guerrier aztèque n'était pas estimée selon le nombre d'ennemis qu'il avait tués, mais d'après la quantité de prisonniers qu'il avait pris pour les sacrifices."(14)

Ne soyons pas choqués : en matière de sacrifice de prisonniers sur les autels des dieux il n'y a absolument aucune différence entre ce que faisaient les Aztèques et la pratique du "Herem" dans l'Ancien Testament : Nombres, XXI, 1 - 3, Juges I, 17, 1 Rois XX, 42, etc., etc. Ce "Herern" était l'accomplissement du voeu de massacrer "hommes, femmes, enfants et vieillards" pris à l'ennemi, en offrande à Dieu. C'était pire que chez les Aztèques qui ne sacrifiaient que des guerriers... En occupant Canaan, nos ancêtres avaient fait une véritable boucherie de tous ses habitants au nom du "Herem". C'était là l'accomplissement de voeux comme on en fait aujourd'hui en promettant à Dieu ou à ses saints de faire le sacrifice de telle ou telle chose s'ils nous aident à recouvrer notre santé ou réussir dans nos entreprises. Ce n'est plus le "Herem" en vies humaines parce que le Talmud et le nouveau Testament ont humanisé l'Ancien Testament. Mais ils n'ont pas humanisé les conquistadores ! Grâce à leur allié le roi Indien de Tlaxcala, Cortés et sa bande retournèrent vainqueurs à Mexico, et alors commença l'Apocalypse pour les Aztèques, et même pour les Tlaxcaltèques, leurs ex-alliers. 

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1/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome I, p. 416. 

2/. Idem, p. 458. 

3/. William H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume VI, page 13. 

4/. Las Casas, BREVISIMA RELACIÓN, Buenos Aires, 1953, page 100. 

5/. William H.Prescott, THE COMPLETE WORKS, London 1896, volume VI, pages 133 à 134. 

6/. Rafael M.Granados, HISTORIA DE COLOMBIA, Medellin 1953, page 101. 

7/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome III, page 89. 

8/. Alfonso Toro, HISTORIA DE MÉXICO, éditions Patria, Mexico 1956, tome II, page 156. 

9/. Idem, page 121. 

10/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1955, page 213. 

11/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome III, page 101. 

12/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1955, page 205. 

13/. Idem, pages 364 et 402.

14/. Motolinia, HISTORIA DE LOS INDIOS, éditions Gili, Barcelone 1914, pages 43 - 44. 

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