L'esprit de nation religieuse hérité de l'Islam

I. 5/. L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS :

c)L'esprit de nation religieuse hérité de l'Islam.

Après la mise au point sur les deux tendances de l'Eglise dans la défense des Indiens, il faudrait reconnaître que du temps de la Conquista, et jusqu'à la fin du XVIme siècle, tous les ordres religieux espagnols, chacun à leur façon, protégèrent les Indiens. Ce ne fut qu'à la fin du siècle que l'Eglise espagnole commença à suivre l'Espagne dans sa décadence, à quelques exceptions près, mais bien moins dans les ordres religieux. 

Ce XVIme siècle, siècle d'Or pour l'Eglise d'Espagne, ou, mieux dit, pour ses ordres religieux, n'est pas sans rapport avec la période qui avait précédé la Conquista. A la fin du XVme siècle l'Eglise espagnole était en pleine euphorie. L'"Empire de la Croix" venait de chasser de la Péninsule les derniers vestiges du Croissant, à Grenade ; c'est à dire, les derniers Espagnols qui voulaient croire en Dieu d'une autre façon que celle des rois d'Espagne. Cependant, les Espagnols juifs et musulmans chassés de la terre de leurs aïeux ne s'en allèrent pas sans laisser leur empreinte sur l'Eglise catholique. Huit siècles de coexistence avec l'Islam firent que ce pays garda au sein de son Institution la plus chère, son Eglise, des traces de coutumes orientales quant à la classification des communautés humaines, selon leur religion et non selon leur ethnie, nation ou race biologique comme c'est souvent le cas en Occident. 

Citation:

"Dans les pays orientaux, le plus souvent, les communautés sont assises sur une base religieuse : les nations sont des groupes formés temporairement pour des raisons politiques."(1)

Par la victoire de la "Reconquista", l'Espagne, de nation religieuse de CRISTIANOS, s'était transformée en nation politique à l'occidentale, unificatrice de nombreux royaumes catholiques des Espagnes, devenus désormais l'Espagne tout court. Mais son Eglise resta encore sous l'influence orientale dans le domaine de la voie vers Dieu comme base de la constitution de la nation, voyant ainsi en tout nouveau converti un compatriote(2), sans se préoccuper de la couleur de sa peau, habitude occidentale. Ce fut pour cette raison qu'aux colonies espagnoles : "Le rapport de l'Espagnol avec son corps n'était pas le même que celui de l'Anglais ou du Hollandais, hérité d'une tradition occidentale non-modifiée par l'Orient"(3). En effet, les Hollandais punissaient en Afrique du Sud comme un délit criminel tout lien matrimonial entre blancs et hommes de couleur. Les Anglais ne se comportèrent pas beaucoup mieux en Rhodésie. 

"La Foi nivelait les différences de couleur" écrit Americo Castro. L' Espagnol avait mêlé son corps à celui de l'Indienne et de l'Africaine sans préjugés raciaux, ce que fit également le Portugais. Aux Colonies, une fois baptisés, les Indiens faisaient partie de la nation des CRISTIANOS pour les religieux espagnols et portugais. Le conflit entre religieux espagnols et conquistadores ou colons fut donc comme un écho de l'opposition entre Renaissance porteuse de racisme biologique, et le principe proche-oriental de "racisme" religieux, tel que l'enseigna le Juif Saint Paul (Galates III, 26-28). 

Quelque chose frappe la plupart des lecteurs attentifs des chroniqueurs de la Couquista : c'est le fait de rencontrer aussi souvent le mot CRISTIANOS que ESPAÑOLES pour désigner des sujets métropolitains, en opposition aux Indiens non encore convertis. Mais dès qu'un Indien devenait par le baptême un CRISTIANO, il devenait ipso facto un compatriote pour les religieux espagnols, il appartenait désormais à la race religieuse de leur Eglise, qui était leur Patrie. Le mot "Espagnol" n'est d'ailleurs pas étymologiquement un vocable espagnol mais un mot étranger, un mot provençal, qui désignait à son origine dans la littérature de la Provence un habitant de la Péninsule Ibérique. En Espagne même, sous l'influence des Arabes, on ne s'appelait plus "Romano" ou "Godo" (Wisigoth), comme c'était le cas avant le VIIIme siècle. Depuis l'arrivée des Arabes en 711 on était devenu une "race" de CRISTIANOS, en opposition aux "races" des Musulmans et des Juifs. Ce ne fut qu'à partir des XIIIme - XIVme siècles, et au fur et à mesure de l'expulsion de leur pays des Espagnols musulmans, que commença à faire son apparition le mot "Espagnol"(4). 

Le principe de race religieuse ne créa pas de guerre mais au contraire, engendra dans le monde arabe une civilisation de pluralisme religieux qui permettait la coexistence, dans le même royaume, de diverses communautés religieuses appelées nations. L'historien espagnol Americo Castro appèle cela "modèle prestigieux de tolérance islamique", alors que certains osent parler de "fanatisme islamique" pour cette époque. A cette tolérance succéda la "Reconquista", l'Intolérance occidentale, contre tous ceux qui ne voulaient pas renier leur religion pour embrasser celle des rois catholiques. Ce fut incontestablement cette tradition proche-orientale de nation par la voie vers Dieu qui inspira les apôtres des Indiens, et en fit leur BOUCLIER contre nos barbares Européens. 

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1/. De Lacy O'Leary, HOW GREEK SCIENCE PASSED TO THE ARABS, éditions Routledge, Londres 1964, page 8. 

2/. Le même phénomène régnait en Turquie sous l'Empire ottoman. Quand un chrétien se convertissait à l'Islam, on ne disait pas "il est devenu Musulman", mais "il est devenu Turc" De même sous l'Empire byzantin, avant l'Islamisation des Turcs au Xme siècle, quand un mercenaire Turc recruté par l'armée byzantine était baptisé, il devenait par là grec orthodoxe. Un "descendant de Périclès" dirait-on aujourd'hui. 

3/. Americo Castro, DE LA EDAD CONFLICTIVA, éditions Taurus, Madrid 1962, page 262.

4/. Americo Castro, REALIDAD HISTORICA DE ESPAÑA, Mexico 1971, page 29. 

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