Darfour : une surenchère de déclarations catastrophistes

Par Rony Brauman 

« Tous ceux qui, en France, sont pour une intervention au Soudan étaient pour une intervention en Irak, et semblent aujourd’hui totalement indifférents aux milliers de morts qu’elle a provoquée. Ils ne se posent pas de questions, maintenant c’est pour eux une espèce de fuite en avant : c’est au Soudan qu’il faut aller faire régner la paix impériale ! » Rony Brauman, ancien président de Médecins sans frontières.

La situation au Darfour est-elle aussi catastrophique qu’on le dit ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que sur le Darfour, il y a surenchère de déclarations, d’affirmations catastrophistes, avec probablement des visées politiques. C’est tout à fait certain. On sait que la guerre à proprement parler (de 2003 à 2005) a fait au moins 200.000 morts et deux millions de déplacés.

Depuis, on est dans un tout autre régime de violence avec une mortalité qui est passée de 10.000 morts par mois à 200. Il y a désormais une constellation de groupes qui règlent leurs conflits ou ont fait de la violence leur mode de vie. On n’a plus du tout un front identifiable, avec des militaires et des insurgés, ou avec des tueurs et des civils. Aujourd’hui, parmi ces 200 morts par mois, une bonne partie sont des hommes en armes, et non pas des civils désarmés comme on le dit trop souvent.

Quelle est donc la réalité du terrain au Darfour ?

Du point de vue politique, elle s’est considérablement compliquée, parce que depuis l’accord de paix de mai 2006, on a une accélération de la fragmentation de groupes. Du point de vue de la survie, on a un dispositif d’assistance qui remplit son office. Si l’on ne meurt pas de faim dans les camps de réfugiés, c’est parce qu’il y a cette grande opération de distribution de fournitures et de vivres.

Mais si ça se relâchait, cela risquerait d’être très grave. Du point de vue de la communauté internationale, enfin, il y a un accord assez général, bien que masqué par les débats assez vifs que l’on observe en France, sur le fait qu’il faut faire pression sur les belligérants, que ce soit sur Khartoum ou sur les groupes d’insurgés. Il y a donc un certain mouvement consensuel, une mobilisation diplomatique, onusienne, humanitaire, et cela depuis plusieurs années. C’est un progrès, mais il faut le situer dans un cadre mental qui nous permet de renoncer à cette espèce de fantasme de toute-puissance occidentale. A cette idée qui veut qu’en envoyant des troupes, on va mettre au pas tout ce petit monde. Cela ne fonctionne pas comme ça.

N’y a-t-il pas justement une guerre idéologique à propos du Darfour ?

Il y a des groupes religieux, la droite chrétienne et les mouvements évangélistes américains qui ont constitué un lobby très puissant pour engager les Etats-unis dans une politique plus volontariste. Ils étaient d’ailleurs déjà derrière l’administration américaine pour défendre le sud du Soudan (chrétien et animiste).

Ils continuent. C’est une idéologie interventionniste, celle qui remet entre les mains des grandes puissances occidentales la responsabilité de faire régner l’ordre sur le monde. Tous ceux qui, en France, sont pour une intervention au Soudan étaient pour une intervention en Irak, et semblent aujourd’hui totalement indifférents aux milliers de morts qu’elle a provoquée. Ils ne se posent pas de questions, maintenant c’est pour eux une espèce de fuite en avant : c’est au Soudan qu’il faut aller faire régner la paix impériale !

Que peut-on attendre alors de la conférence du 25 juin prochain à Paris ?

Des contacts avec les belligérants, une présence diplomatique et politique constante, pour être à la fois l’accompagnateur et le garant d’un processus de négociations. Si cela peut permettre à la Chine d’entrer dans cette danse, ce sera une bonne chose. Si, en revanche, on arrive en disant que l’on va boycotter les Jeux olympiques de 2008 à Pékin, on se ridiculise et on se condamne à l’échec. Cette menace est politiquement ridicule et moralement extrêmement discutable. Ce sont des Soudanais qui tuent d’autres Soudanais, les Chinois ne sont en rien impliqués.

Aujourd’hui, quand on voit des Bernard Kouchner et des Bernard Henri-Lévy qui parlent des Chinois en Afrique comme de "prédateurs", de gens qui sont intéressés uniquement par le commerce et le profit, on comprend que, nous, quand on était en Afrique, on avait d’autres visées : on avait notre grandeur d’âme...

Propos recueillis par Karen LAJON, le JDD

SOURCE : JDD