Les Franciscains deviennent à leur tour défenseurs des Indiens

I. 5/. L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS :

h)Les Franciscains deviennent à leur tour défenseurs des Indiens.

Las Casas n'était pas parti au Nouveau Monde en qualité d'Apôtre, mais en conquistador, marchant ainsi sur les pas de son père. Motolinia, par contre, parti en 1523 avec une expédition officielle de "Douze Apôtres" franciscains que Cortés avait sollicités de l'Empereur pour "endoctriner" ses vassaux, leur apprendre sans doute à être de bons serfs de Dieu, et à l'exemple de leur soumission au Maître des Cieux, se soumettre à lui Cortés, leur Seigneur sur Terre. Il ne faudrait cependant pas en déduire que ces apôtres au chiffre symbolique de douze se désintéressèrent totalement du sort terrestre des Indiens, comme l'avait escompté Cortés. Cependant, ils n'ont pas été conséquents jusqu'au bout de leur apostolat comme le furent les dominicains, mais de leurs rangs se détachèrent d'éminents protagonistes pour la défense des victimes de tous les Cortés. Motolinia, de son vrai nom Toribio de Benavente, s'est surtout fait remarquer par sa profonde humilité, son ascétisme, et sa fougue évangélisatrice. Beaucoup d'auteurs se demandent si son humilité, son geste spectaculaire, se défaisant de son vêtement pour l'offrir à un Indien, étaient de la charité ou de l'orgueil. La première expression mexicaine que père Toribio avait apprise fut celle de "motolinia", qu'il transforma en nom pour l'accoler au sien. Les Indiens, habitués à voir les Espagnols s'affubler de coutume avec ostentation, s'exclamèrent sur la pauvreté vestimentaire des franciscains en criant en leur langue : motolinia, ce qui voulait dire : "qu'ils sont pauvres". Le père Toribio s'étant fait traduire cela en castillan, dit à ses frères franciscains que désormais il s'appellerait Motolinia. 

Ce fut donc sur la demande de Cortés que Charles Quint envoya au Mexique le 25 janvier 1524 les "douze apôtres" de l'Ordre des franciscains, dont Toribio de Benavente, pour activer la conversion. Leur arrivée à Mexico le 17 juin fut l'occasion d'une réception solennelle et spectaculaire, durant laquelle Cortés se mit à genoux pour baiser leurs habits (1) afin de donner un exemple à SES Indiens sur leur futur comportement envers SES religieux. 

Cependant, tous les pères franciscains n'étaient pas aveuglés par Cortés. Fray Juan de Zumárraga, disciple de l'humaniste Thomas More (auteur de "L'Utopie", spéculation sur une société égalitaire idéale), premier évêque de Mexico en 1528 et archevêque du Mexique en 1547, se distingua par sa lutte très dure et courageuse contre la première "Audience" (2). En sa qualité de protecteur des Indiens, investi par la Couronne, il eut à lutter contre un président de l'"Audience", Nuño de Guzmán, chargé par l'Empereur de mettre un terme aux méfaits de Cortés, mais qui s'avéra pire que ce dernier. Guzmán était un esclavagiste qui dépeupla la région de Pánuco par sa chasse à l'homme, et Mgr Zumárraga savait très bien qu'il y périssaient vingt fois plus d'indiens par leur mise en esclavage que par l'épée des conquistadores. C'était donc des hommes terribles contre lesquels avaient à lutter Fray Juan de Zumárraga et ses moines franciscains et dominicains. Un historien mexicain du 19ème siècle, devant leur zèle, va jusqu'a poser la question de la légitimité de leur audace à braver les conquistadores, en écrivant : 

Citation:

"La résistance de l'évêque (Zumárraga) et des moines, juste en elle-même, ne transgressait-elle pas les limites du devoir et de la prudence? Aujourd'hui, il pourrait nous paraître que les moines dépassaient les bornes, sous couvert de l'immunité ecclésiastique, pour la défense des droits naturels des Indiens (3)... L'évêque fut en particulier injurié, bafoué, menacé de mort, privé de ses revenus, perturbé dans sa juridiction, et menacé d'être expulsé de la Colonie."(4)

Autre moine, disciple de Thomas More : Don Vasco de Quiroga. Un grand seigneur, membre de la plus haute noblesse d'Espagne, mais pas seulement noble par le parchemin. Don Vasco troqua son blason resplendissant des vanités de la Cour de Madrid contre celui de soldat du Christ au Mexique, où il arriva dix ans après la chute de la Grande Tenotchtitlán (Mexico). Nommé par la Couronne OIDOR (juge d'Audience) avec mission d'investigation des accusations portées contre Cortés et Nuño de Guzmán, Don Vasco n'était pas à l'aise dans les salles des tribunaux et des gouvernements. En arrivant, il se pencha sur la misère des Indiens pour voir ce qu'il pouvait faire en pratique pour adoucir le sort d'au moins quelques-uns. Il fut effaré de voir leurs souffrances, il en soufra lui-même, impuissant à changer cet état de choses. Il se mit à l'ouvrage pour en sauver quelques-uns. Une fois installé dans la Colonie, il opère en disciple de Thomas More et réalise des idées que l'on ne retrouvera que plus tard chez le socialiste français Fourrier, au 19ème siècle ! 

Il édifie de ses propres deniers le premier phalanstère d'Amérique, à 8 km de Mexico, qu'il appelle "Hospital de la Santa Fé". Ce n'était pas qu'un hôpital. Un vrai familistère autour duquel s'agglomérait une "agroville" de 30.000 Indiens en 1555. Pour lui, christianisme commençait par le souci de la vie quotidienne des Indiens et donc pas par leur mise en esclavage. Il démarre dans cet "Hospital" l'artisanat qui est encore aujourd'hui si florissant au Mexique qu'il fait l'admiration de tous les étrangers tout en assurant des moyens d'existence à une partie de la population. On y voit aujourd'hui, même en d'autres villes que dans l'État de Michoacán où se trouvait sa "République" comme il l'appelait, des boutiques de souvenirs à l'enseigne de "Don Vasco", où se vendent de fins ouvrages d'un magnifique artisanat. Son phalanstère était régi par des "règles et ordonnances", afin que les dirigeants de cette communauté fussent élus par vote secret. Il avait aussi institué la "Distribution de la production obtenue par six heures de travail par jour et en commun, distribution à chacun selon ses besoins et ceux de sa famille"(5). 

Dans l'organisation de son phalanstère "tata Vasco" n'avait pas oublié le moindre détail de la vie quotidienne, jusqu'aux loisirs auxquels il attachait autant d'importance qu'à l'enseignement de la religion. Don Vasco était évêque de Michoacán, et les paysans et artisans de tout ce pays tarasco quand ils parlent encore de lui aujourd'hui l'appèlent toujours affectueusement "tata Vasco" (père Vasco). Grand administrateur, il avait organisé sa "République" en encourageant tous les métiers et toutes les cultures rurales, le tout au bénéfice de ceux qui produisaient, et non pour un encomendero. Il est mort à l'âge de 95 ans, entouré de l'affection des Indiens, ce qui lui était le plus cher au Monde après le Christ. 

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1/. Bernal Díaz del Castillo, HISTORIA VERDADERA DE LA CONQUISTA DE LA NUEVA ESPAÑA, Mexico 1955, page 516. 

2/. AUDIENCE, Tribunal qui était en même temps une espèce de gouvernement de la Colonie avant l'installation des vice-rois. 

3/. J.Garcia Icazbalceta, FRAY JUAN DE ZUMARRAGA, Buenos Aires 1952, page 72. 

4/. Idem, page 231. 

5/. HUMANISTAS DEL SIGLO XVI, édition UNAM, Mexico 1946, page 63. 

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