Prestre Jean, les Mongols et les Aventures du bon St. Louis
20. Prestre Jean, les Mongols et les Aventures du bon St. Louis.
Aux XIIme et XIIIme siècles l'Occident vécut sous le charme de la Légende de "Prestre Jean", un Khan Mongol, chrétien Nestorien, que la providence enverrait un jour comme Fléau contre les Infidèles. Il fut surtout identifié en la personne de Ouang Khan, qui, lui, n'était pas du tout un personnage mythique. Cependant, comme son nom sonnait comme Ioan (Jean, en grec), cela facilitait les fantaisies. Hélas! le bon Dieu n'eut pas de chance avec Ouang : il fut tué au combat par le fameux "Gengis Khan". Ce fut donc ce dernier, connu pour ses sympathies envers les chrétiens, qui devait devenir l'homme Providentiel destiné à abattre l'Hydre musulmane.
Cette Légende est née en 1145 lorsque l'évêque de Jabala, Mgr Hugh, fit le voyage depuis son diocèse du Proche Orient pour voir le Pape Eugène III. Il lui apportait une mauvaise nouvelle quant à la situation militaire des Croisés, et une bonne, même fantastique nouvelle, espérant l'encourager ainsi à risquer une nouvelle croisade au secours de ses fils en Jésus Christ menacés par les armées des ennemis de Dieu. La bonne nouvelle était celle concernant le Prestre Jean. Cependant comme Ioan n'était pas encore né, la Providence inspira à Mgr Hugh rien de plus que le fait qu'il s'appelât Jean, et qu'il fut Prestre Nestorien; il aurait déjà conquis la capitale de la Perse Ekbatana, et sa cavalerie mongole avancerait en vagues successives vers les terres des ennemis de Dieu pour venir en aide au chrétiens.(1)
Comme on voit, les Croisés, acclimatés depuis 50 ans à l'ambiance de l'Orient, n'apprirent pas seulement à manger avec des fourchettes et à se laver les mains, mais assimilèrent également la tradition orientale du fantastique.
Citation:
"La fantaisie superstitieuse des contemporains croyait déjà avoir découvert le Prêtre-Roi des Indes David-Jean qui, selon une prophétie largement répandue, devrait un jour exterminer les Infidèles. En réalité c'était les Mongols de Gengis Khan..."(2)
Après des espoirs déçus jusqu'en 1245, Sa Sainteté Innocent IV prend l'initiative d'envoyer une ambassade, officielle cette fois-ci, auprès du Khan Mongol Gouyouk, à Karakorum, mais sans succès. A la bonne volonté du Saint Père de lui faire administrer le baptême, le Khan Mongol lui oppose la présomption que le Pape aille en personne à sa Cour, en Asie Centrale, lui rendre hommage, le reconnaissant ainsi pour suzerain. Après l'échec de cette ambassade, pas encore découragé, Innocent IV(3) envoie en 1247 une deuxième ambassade, à Tabriz cette fois-ci, au général Mongol Baichou, qui se termine par un échec comme la première.(4)
Quoique la prophétie de Prestre-Jean le situait en Asie (Centrale ou les Indes), on le chercha également en Afrique orientale (c'était malgré tout l'Orient, n'est-ce pas?), en supposant que ce pourrait bien être l'Empereur d'Ethiopie. Cependant, comme cet Empire chrétien (chrétien plusieurs siècles avant que Francs et Teutons le deviennent) vivait en bonne intelligence avec tous les royaumes d'ennemis de Dieu musulmans qui l'entouraient, S.M. Impériale éthiopienne les pria d'aller chercher le Prestre-Jean ailleurs.
Après tous ces échecs de la chrétienté à la recherche du mythique Prestre-Jean, et toutes les tentatives de conclure alliance avec des Mongols en chair et en os, voilà que St. Louis aussi voulut tenter sa chance pour défendre sa Foi contre les ennemis de Dieu, en s'alliant aux Mongols. Contrairement à la plupart des Croisés, il était un fervent et sincère croyant et n'ambitionnait pas de conquête, mais voyant l'Islam comme l'ennemi No. Un de son Dieu, il refusait tout compromis avec les musulmans. Cependant, il ne dédaigna pas à rechercher alliance avec les païens Mongols. En 1249 il envoie une ambassade au général Mongol Aljighidai qui la fait suivre à son tour à la Cour, à Karakorum, où régnait la Régente Oghul Qaimish (le Khan venait de mourir). Elle daigna accepter les cadeaux royaux de St Louis comme... tribut en hommage de la part d'un vassal à un suzerain, et demanda que les mêmes cadeaux lui soient envoyés chaque année, écrit Sir Runciman, qui ajoute :
Citation:
"Louis fut choqué par cette réponse, mais il espérait, malgré tout, réussir un jour dans ses efforts pour obtenir une alliance avec les Mongols."(5)
Pauvre Saint Louis! brave roi de France, si bon et si juste envers ses sujets. Il sortit de ses terres pour combattre les ennemis de Dieu et il ni fit que des catastrophes. Il s'était mis en tête de voir le Tombeau du Seigneur, quitte à s'allier avec le Diable. Il aurait pu le faire facilement par des compromis avec les musulmans comme il était coutume de le faire dans ce coin du Monde (on y obtient plus avec des marchandages qu'avec le Glaive). Cependant, fils de Louis VIII, il voulait marcher sur les pas de son père, quoique celui-ci ne fut pas très catholique dans ses actes. Pour ce dernier, les ennemis de Dieu étaient les Albigeois, non pas pour servir Dieu, mais pour se servir du Languedoc... Alors que St. Louis était sincère.
Enfin, le Diable qui agit en cette occurrence en "alliance" avec Saint Louis fut le féroce Hulagu. Petit-fils de Gengis Khan, un épileptique fanatisé par sa femme Nestorienne de la tribu des Karaïtes, Dokuz Khatun, qui haïssait profondément les musulmans. Ce fut alors la plus grande boucherie humaine commise par les Mongols jusque là (Tamerlan fera "mieux" 150 ans plus tard). Bagdad, Alep, Damas n'étaient plus qu'un amas de ruines fumantes sous lesquelles gisaient des centaines de milliers de cadavres. Après l'acier, le feu compléta l'oeuvre de Hulagu, et la chrétienté ne se tenait pas de joie à l'annonce de la "bonne nouvelle".
Conclusion : lorsque, plus tard, les Mongols se civilisèrent, ils se sont fait musulmans ou bouddhistes et sont devenus le peuple le plus pacifique de la Terre. C'est alors, et alors seulement, que l'Occident commença à faire des Mongoles de "sanguinaires barbares Asiates"...
Moralité? il n'y en a pas...
BASILE Y.
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1/. Steven Runciman, A HISTORY OF THE CRUSADES, Cambridge University Press, 1968, Volume II, pages 247-8.
2/.Johannes Haller, PAPSTTUM IDEE UND WIRKLICHKEIT, RoRoRo 1965, tome IV, page 22.
3/.Innocent IV. fit envoyer, avec sa bénédiction, des Chevaliers Teutons contre les Chrétiens de Russie, faisant ainsi le jeu des Tatares Musulmans auxquels avait affaire Alexandre Nevski à l'est de ses frontières. Mongols au secours des croisés, Tatares musulmans au secours des Chevaliers Teutons. En pleine stratégie césaropapiste...
4/.Steven Runciman, ouvrage cité, Volume III, page 259.
5/.Steven Runciman, ouvrage cité, Volume III, page 260.
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© 1999 Copie autorisée si sans modification et si auteur Basile Y. cité