Attitude initiale des Dominicains et des Franciscains

I. 5/. L'ÉGLISE, BOUCLIER DES INDIENS :

a)Attitude initiale des Dominicains et des Franciscains. 

Citation:

"De quel droit et de quelle justice asservissez-vous si cruellement et de façon si horrible ces Indiens? Qui vous a autorisés à faire la guerre à ces gens qui vivaient doux et pacifiquement sur leurs terres."(1)

Citation:

"Ceux qui ne voudraient pas recevoir de bon gré le saint Évangile de Jésus-Christ, qu'on le leur impose par la force."(2)

L'apostolat des religieux espagnols au Nouveau Monde du temps de la Conquista se présente sous deux aspects opposés comme on peut lire dans ces citations. Deux tendances apostoliques; l'une préoccupée uniquement de la conversion des Indien, alors que l'autre, s'intéressait à leur survie sur terre, avant même de parler de conversion. Il y eut une dizaine d'Ordres qui se lancèrent à la suite des conquistadores pour prêcher le christianisme. De tous ces Ordres, se furent les Dominicains et les Franciscains qui se sont le plus distingués par leur activisme(3). Pourtant, ces deux Ordres vécurent souvent en rivaux durant toute la Conquista et la "pacification". La rivalité qui régnait alors dans leur activisme n'était pas d'ordre théologique. Elle était plutôt de l'ordre de la méthode : la rivalité entre réformistes et contestataires, entre partisans de l'ordre préexistant, dans le cadre duquel des reformes améliorant le sort des déshérités sont envisageables, et de partisans du changement complet de cet ordre jugé inhumain et impossible à améliorer. 

Ces deux tendances ont guidé les orientations de l'apostolat. Les Dominicains, en la personne de Fray Don Bartolomé de Las Casas, avaient mis en cause la Conquista en tant que telle, le droit des Espagnols à coloniser par le fer et par le feu. Le droit même de coloniser tout simplement. Las Casas fut le porte-parole des dominicains dans la Colonie et par la suite en Espagne, mais l'initiative de cette tendance dominicaine apparut dans leur Ordre avant Las Casas. Ce fut le cardinal italien Cajetano, général de l'Ordre des Dominicains, qui, en 1508, commença à poser des limites aux largesses de distribution des terres d'autrui du Pape Alexandre VI. Ce fut à son exemple que les pères dominicains Francisco de Vitorio, fondateur du Droit International(4) et Bartolomé de Las Casas mirent en question le droit du Pape Borgia à faire jouer au Christ le rôle de serviteur des ambitions de seigneurs terrestres. 

Le roi catholique Ferdinand d'Aragon crut qu'en finançant le voyage au Nouveau Monde de quinze pères dominicains en 1509 et de vingt et un autres en 1511, pour évangéliser les Indiens, il mettrait avec leur complicité le Christ au service de sa Couronne. Il dût cependant déchanter et les menacer de rapatriement, s'ils continuaient à "perturber l'ordre de la Colonie". Les pères dominicains ne se laissèrent pas pour autant intimider. La "désobéissance" commença avec le célèbre sermon du père Montesinos en 1511 (première citation en haut de cette page) à la Cathédrale de Santo Domingo dans l'île de la Española (Saint-Domingue). Quelques années plus tard, après les millions d'Indiens morts dans les mines et pêcheries de perles infestées de requins, la grande voix - non humaniste, simplement humaine! - de Las Casas déniait aux rois d'Espagne le droit de subjuguer des hommes, fussent-ils des idolâtres. Las Casas n'admettait pas que : 

Citation:

"Parce que les rois de Castille découvrirent les Indes (occidentales) à l'aide de l'Amiral (Colomb), cela leur donnait le droit, pacifiquement ou par la guerre, par le mal ou par le bien, de gré ou de force, de subjuguer des gens et leurs autorités (préexistantes)."(5)

D'un strict point de vue de la conversion, Las Casas s'opposait même à la méthode des Franciscains inspirée par Cortés. Le conquérant du Mexique voulait qu'on détruise leurs Temples et leurs idoles et qu'on les remplace partout par des images saintes. Las Casas trouvait cela maladroit et s'y opposait par un raisonnement qui se résumerait en quelques mots : si on détruit leurs idoles pour les remplacer par des saints, cela correspondrait pour eux simplement à d'autres idoles. Il vaudrait donc mieux leur démontrer d'abord par une vie exemplaire que le christianisme est une religion d'Amour de son prochain, pour en faire des chrétiens véritables de leur propre gré, et non superficiels, obtenus par la violence. La destruction de leurs magnifiques Temples et de leurs idoles fut un pur vandalisme, accompagné d'autodafés de parchemins picturaux aztèques, de hiéroglyphes mayas, ainsi que des fameux quipous incas. Que nos archéologues n'auraient-ils pas découvert aujourd'hui à travers ces trésors culturels? Cortés inspira une rage destructrice aux pères franciscains par sa bigoterie de faux dévot. Las Casas s'étant dressé contre tout cela, on l'appela le "révélateur de mensonge". Le mensonge était devenu une institution de la Conquista. Cette méthode servit par la suite de modèle à TOUS les autres colonialistes d'Europe : on traita les Noirs de cannibales pour justifier leur Traite. Las Casas était sans compromis, et c'était en général la position de l'ensemble des dominicains. 

La position des Franciscains était par contre celle de Motolinia. Ils rendaient grâce à Dieu que les Espagnols aient conquis ces terres pour leur permettre de "sauver des âmes de l'Enfer", et c'était là pour eux l'essentiel. C'était l'essentiel mais ce n'était pas tout. Dans la mesure où les mauvais traitements contre les Indiens gênait leur conversion, ils les combattaient. Le moine franciscain régent du royaume cardinal Jimenez de Cisneros, par exemple, protégea et aida Las Casas dans sa lutte pour les Indiens. 

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1/. Sermon du Père dominicain Anton de Montesinos, cité par Las Casas dans HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome II, page 441. 

2/. Lettre à Charles Quint du père Franciscain Motolinia, dans MEMORIALES, éd. UNAM, Mexico 1971, page 411. 

3/. L'activité des Jésuites fut aussi remarquable, mais n'apparut outre-atlantique que vers le milieu du XVlme siècle. 

4/. On appela le père dominicain Francisco de Vitoria le "Socrate espagnol". Ce fut pourtant, principalement, avec des arguments théologiques (Relaciones sobre los Indios y el derecho de guerra) qu'il attaqua la Bulle du Pape Borgia Alexandre VI, INTER CAETERAE DIVINAE . Il démontra implicitement combien cette Bulle qui partageait l'Amérique entre Espagnols et Portugais, était contraire à l'Enseignement du Christ. Elle attira d'ailleurs, à titre posthume, les sarcasmes de Français 1er, qui se demanda si le Pape avait fait ce partage avec le testament d'Adam en main. Vitoria se dressa contre les théologiens-humanistes tels Sepúlveda (voir : "Las Casas à la tête de la défense des Indiens") qui soutenaient le "droit divin" du Pape à distribuer aux rois catholiques des royaumes d'Indiens, droit qui fut mis en pratique par le "Requirimiento" (voir les bases "légales" du génocide). C'est le raisonnement élaboré par Francisco de Vitoria lors de ce refus qui servit ultérieurement de base à l'élaboration du DROIT INTERNATIONAL. Quand au "Saint Père Borgia", Justice immanente! Il n'est pas mort comme l'hagiographie le prétend, de malaria, mais probablement, historiquement, empoisonné par le vin qu'il destinait à de riches cardinaux dont il était l'héritier. C'est ce qu'écrivent les historiens allemands Leopold von Ranke (Fürsten und Völker, Wiesbaden 1957, pages 121 à 122) et J.Burckhardt (Die Kultur des Renaissance in Italien, Leipzig 1928, pages 106 et suivantes). 

5/. Las Casas, HISTORIA DE LAS INDIAS, Fondo de Cultura Económica, Mexico 1951, tome III, page 19. 

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