Charlemagne, son astucieux marchand juif et son avaricieux évêque

1. Charlemagne, son astucieux marchand juif et son avaricieux évêque.

Charlemagne voulut guérir un de ses évêques de sa cupidité pour les objets rares et précieux. Il ordonna à un marchand juif, que ses voyages menaient en Terre Sainte, d'où il ramenait des objets rares et précieux, de tromper cet évêque et de l'exposer à la dérision. Notre marchand prit une souris domestique qu'il parfuma, et la montra au dit évêque, prétendant avoir trouvé en Judée cet animal jamais vu auparavant. Immédiatement, l'évêque voulut acquérir cet objet si précieux et lui en offrit trois livres d'argent. "Quel prix ridicule pour un objet si cher", lui répond le marchand juif, "je préférerais le jeter dans la mer que de le céder à un prix si bas". L'évêque qui était très riche - sans pour autant jamais rien donner aux pauvres - propose alors dix livres. Sur quoi le marchand astucieux : "Le Dieu d'Abraham ne voudrait point que je perde ainsi le fruit de ma peine et mon gagne-pain". L'évêque avare lui offre vingt livres, mais le marchand enveloppe la souris dans un tissu précieux et fait semblant de partir. L'évêque le rappelle et lui offre une mesure pleine d'argent pour obtenir cet objet précieux. Là, devant l'insistance de l’évêque, le marchand cède et lui abandonne la souris en échange de tout cet argent. 

Il apporte immédiatement à Charlemagne le prix de la vente et lui raconte en détail toute la scène. Peu de temps après, Charlemagne convoque en synode les évêques et notables de la province. Après avoir expédié les affaires sérieuses, il fait apporter l'argent obtenu par le marchand juif, le montre à tout le synode et s'adresse alors à l'assistance pour dire : "Vous, les évêques, devriez servir les pauvres et par eux le Christ, et non rechercher les choses futiles... Voilà tout l'argent que l'un d'entre vous a payé à un marchand juif pour une simple souris domestique un peu parfumée". L'évêque exposé ainsi à la honte publique se jeta aux pieds de l'Empereur pour demander pardon. 

L'historien Bernhard Blumenkranz (1) qui nous rapporte cette charmante anecdote, la tient du biographe de Charlemagne connu sous le nom de "Moine de saint Gall". Il la présente avec raison comme un "petit récit, délicieux exemple d'humour médiéval". 

Du temps de Charlemagne, et depuis le début du christianisme, les Juifs n'étaient pas persécutés en Europe Occidentale, mais jouissaient même d'un statut proche de celui de la noblesse. Comme l'on voit ici, le vil avaricieux n'est pas un "sale Juif", mais un évêque de Charlemagne. Le marchand juif joue ici un rôle d'agent de Charlemagne pour enseigner la morale à un synode d'évêques. 

Les Juifs ne sont devenus "ennemis de Dieu", "assassins du Christ", qu’à partir de la Première Croisade, inaugurée avec le massacre de 30.000 d'entre eux en Rhénanie. Il faut dire qu'à cette époque, des Chrétiens de leurs compatriotes avaient commencé à pratiquer le métier de marchand, exercé jusqu'alors par les seuls Juifs. Avant cette "ère nouvelle", quand un manant commettait un délit, il était puni par le fouet, quand un Juif en commettait un, il n'était puni que d'une amende. L'antisémitisme n'est donc pas un "phénomène chrétien", comme écrit M. le Rabbin Arthur Hertzherg (2), mais un "phénomène bourgeois" comme écrit J.P.Sartre(3). C'est à l'ère des Croisades, quand ont résonné les premiers vagissements de la classe marchande, que l'on s'est aperçu que "la Concurrence est l'âme du Commerce". Elle est cependant plus efficace si l'on supprime physiquement le concurrent. Alors comme en écho à Caton, à son "Carthage doit disparaître", parce que concurrente de Rome, le concurrent Juif devait disparaître à son tour d'Europe. Cela a duré de 1096 à 1945, parce que nous sommes davantage des disciples des Romains que du doux Jésus de Nazareth (je suis pourtant athée...). 

BASILE Y. 

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1/. Juifs et Chrétiens dans le Monde Occidental, éditions Mouton & Co., Paris 1960, page 16.

2/. THE FRENCH ENLIGHTENMENT AND THE JEWS, Columbia University Press, New York 1968.

3/. Réflexions sur la question juive, éditions Gallimard 1954.

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